Hilda Flavia Nakabuye est une jeune militante écologiste ougandaise de 22 ans. Nous l’avions contactée il y a quelques mois, alors qu’elle était la première étudiante africaine à s’engager dans la grève pour le climat engagée par Greta Thunberg. Jeudi, elle était à Paris afin d’ouvrir la Nuit des Idées 2020. Rencontre.
Pour rappel, quelle est la situation écologique en Ouganda aujourd’hui ?
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Hilda Flavia Nakabuye – Aujourd’hui, on doit faire face à de nombreux problèmes : hausse des températures, la sécheresse, l’accès à la nourriture et à l’eau potable… Le lac Victoria par exemple, qui est le plus grand lac d’Ouganda, rencontre de nombreuses difficultés. Il est extrêmement pollué, son niveau d’eau ne cesse de baisser du fait des fortes chaleurs, et de nombreuses espèces de poissons sont en voie d’extinction. De la même manière, le Rwenzori, la chaîne de montagnes située au sud-ouest du pays, perd de plus en plus de neige avec la hausse des températures.
On observe également une déforestation massive dans le nord du pays à cause des activités humaines. Le parc national Murchison Falls est particulièrement en danger car le gouvernement souhaite y construire un oléoduc de 1443 km afin de transporter du pétrole jusqu’au district d’Hoima, à l’ouest du pays, puis jusqu’en Tanzanie.
Consequences of Continuous effects of Climate change in Uganda. Our lives are at risk. We demand concrete Action. #ClimateEmergency #ClimateActionNow pic.twitter.com/tXWJvwSXYs
— Nakabuye Hilda F. (@NakabuyeHildaF) December 30, 2019
Concernant le gouvernement ougandais justement, est-ce qu’il te soutient dans tes actions ?
Non, car si le gouvernement nous soutenait, on aurait déjà obtenu des réponses de sa part. En mars dernier, nous avons présenté un document devant le Parlement, qui nous a promis d’organiser un débat parlementaire sur les questions climatiques. Mais jusqu’à maintenant, rien n’a été mis en place et on n’a jamais été recontactés.
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Quelles actions mènes-tu de manière quotidienne afin de changer les choses ?
Je passe la plupart de mon temps à alerter la population, particulièrement dans les communautés locales qui n’ont pas la chance d’avoir accès à ce genre d’informations. En Ouganda, très peu de personnes sont au courant de cette crise climatique parce qu’on ne nous en parle pas à l’école, donc j’essaye, du mieux que je peux, de les tenir informés. Je me rends au sein de ces communautés pour leur parler, ainsi que dans les écoles et les institutions qui organisent des meetings avec des leaders locaux. Les grèves pour le climat m’ont également permis d’interpeller et de discuter avec de nombreuses personnes à ce sujet.
Je me rends également toutes les semaines autour du lac Victoria avec quelques amis pour nettoyer le site, et je m’engage auprès d’ONG locales, comme “Green campaign Africa”, dans différentes actions telles que la plantation d’arbres ou encore l’aide aux communautés qui souffrent le plus de ces changements climatiques.
My name is Hilda, am an African Climate Activist.
I lead a #LakeShoreCleanUp on Lake Victoria because I believe that we youth are good at Action and have great ideas.
I wish people in power get desire to listen to us so we can play an active role in creating green environments. pic.twitter.com/aC8ME08j9A— Nakabuye Hilda F. (@NakabuyeHildaF) January 14, 2020
De quelle manière financez-vous ce genre de projets ?
On a besoin d’argent pour acheter des arbres, transporter des provisions aux communautés etc., et cela nous prend beaucoup de temps car il faut parfois se rendre dans les montagnes qui sont difficilement accessibles. La plupart du temps, nous utilisons notre propre argent de poche car nous ne recevons pas d’aides financières. Mais nous continuons à le faire car nous pensons que c’est important. Et si nous, on ne le fait pas, personne le fera à notre place.
Tu milites depuis plusieurs mois maintenant. Est-ce que tu as observé un changement dans le comportement des gens que tu rencontres ?
C’est très lent et compliqué, car les gens ne sont pas prêts à changer les choses par eux-mêmes, de peur de sortir de leur zone de confort. Certaines personnes refusent également d’agir car elles pensent que c’est au gouvernement de le faire.
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Ce soir, tu vas prendre la parole dans le cadre de la Nuit des Idées. Quel message souhaites-tu faire passer à cette occasion ?
Je ne sais pas encore exactement ce que je vais dire, mais je souhaite partager tout ce que je peux et donner des solutions à la crise climatique. Je sais également que je serai la seule personne africaine présente à cette occasion. De ce fait, je serai la voix des nombreux Africains qui souffrent et meurent du fait de cette crise climatique. Je serai la voix des lacs pollués, de l’air pollué, des espèces végétales et animales en voie d’extinction.
The #LaNuitDesIdées has been very insightful, sharing with fellow Activists from different parts of the world in the same fight shows so much solidarity and motivation to keep pushing for #ClimateJustice. @Nathan_Metenier @KristinRodrigo @IFParis @francediplo @Fridays4FutureU pic.twitter.com/PCONA5Y7P1
— Nakabuye Hilda F. (@NakabuyeHildaF) January 30, 2020
Tu étais également à Madrid en décembre dernier lors de la COP25. Pourquoi est-ce important, pour toi, de te rendre à de tels événements ?
Parce que ce sont des événements où les Africains sont très peu représentés, alors que nous sommes ceux qui souffrent le plus des changements climatiques. Je ne le fais pas par plaisir, mais c’est ma manière de changer les choses. Si nous voulons stopper cette crise climatique, nous devons sortir de notre zone de confort. Me rendre à ce genre d’événements, c’est une manière de faire entendre notre voix, et une manière de partager notre expérience quotidienne.
Il est important, selon moi, de résoudre le problème en le stoppant à sa source. Dans ce genre d’événements, c’est ce que je fais en parlant devant les dirigeants des pays développés qui contribuent en très grande partie à empirer cette crise. Je souhaite les alerter qu’un incendie est en cours et qu’il est nécessaire de le stopper au plus vite. Pour toutes ces raisons, j’espère qu’ils vont nous soutenir et qu’ils ne prendront plus les pays africains pour des poubelles où jeter leurs déchets.
Il y a quelques jours, une photo de jeunes militantes pour le climat a été coupée par une agence de presse, cachant Vanessa Nakate, une autre Ougandaise. Qu’est-ce que cela signifie selon toi ?
Cela montre bien que la crise climatique constitue une nouvelle forme de racisme, ou peut-être même une forme d’apartheid écologique. Alors que nos ancêtres ont combattu cela pendant de nombreuses années, on se rend compte que ce n’est pas vraiment terminé et que le racisme est toujours présent aujourd’hui.
Quels sont tes espoirs concernant l’avenir ?
J’espère que les différents gouvernements entendront notre cri d’alarme et agiront de manière concrète contre cette crise climatique. Je souhaite que les leaders écoutent la nouvelle génération engagée dans ce mouvement pour le climat, et respectent nos revendications.
Propos recueillis par Julia Prioult
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