Une première mise en scène d’un classiquequi offre une partition de rêve à Mélodie Richard.
C’est la découverte de “Césarée”, le court métrage consacré par Marguerite Duras à la figure de Bérénice, qui décide Célie Pauthe à mettre en scène la tragédie de Racine. L’enjeu du spectacle étant de faire dialoguer les deux œuvres, on se plaît à rappeler qu’à trois siècles de distance, c’est une même urgence qui anime le dramaturge et la réalisatrice.
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En 1670, Racine doit se justifier dans sa préface d’avoir dû “faire quelque chose de rien” en accordant ses vers au simple drame d’une rupture amoureuse : “Ce n’est pas une nécessité qu’il y ait du sang et des morts dans une tragédie ; il suffit que l’action en soit grande, que les acteurs en soient héroïques, que les passions y soient excitées, et que tout s’y ressente de cette tristesse majestueuse qui fait tout le plaisir de la tragédie.”
Une volonté de faire avec presque rien
En 1979, c’est cette même “tristesse majestueuse” qui habite le texte dit en voix off par Duras, et sa volonté de faire avec presque rien est avérée quand on sait que les plans de Paris qui accompagnent Césarée proviennent des rushs inutilisés de son film Le Navire Night.
Il y a toujours un hors-champ dans l’histoire de Bérénice. Avec Racine, cinq ans ont passé depuis que la reine des juifs a trahi son peuple pour aller vivre à Rome avec son amant Titus, le destructeur du temple de Jérusalem. La raison d’Etat étant plus forte que l’amour, Titus la renvoie de Rome au moment où il devient empereur. Usant de son droit de suite, Duras parle de l’après, du retour à Césarée, le port de Palestine d’où Bérénice était partie.
Incarnée avec une élégance sans pareille par Mélodie Richard, la Bérénice de Racine est une femme sous influence qui oscille entre le désespoir et la colère de se voir condamnée à devoir tout perdre. Devenue un empêchement pour celui qui la chérissait hier, elle sait qu’après avoir renié les obligations de sa couronne et subi la trahison de Titus, il ne lui reste plus rien.
Les brumes du petit matin sur la place de la Concorde enfermée
Tout se passe dans l’espace pétrifié d’un salon envahi par le sable. Projeté sur les voiles qui cadrent la scène, le film, comme une savante ponctuation, séquence la pièce d’acte en acte. L’évocation métaphorique de Marguerite Duras a valeur d’un baume au cœur face au cauchemar de Bérénice. Pour lui rendre hommage comme on le ferait d’une déesse injustement bafouée sur l’autel de l’amour,
Duras ne retient de Paris que des images dignes d’un Olympe. Les brumes d’un petit matin au jardin des Tuileries rappellent l’idylle des débuts en se référant aux corps sensuels des statues de Maillol. D’une jeune reine taillée dans le marbre sur le pont du Carrousel à cette autre qu’un échafaudage enferme place de la Concorde, tout est dit de Bérénice. Dans l’inoubliable de ses images, Duras hisse son cinéma à égalité avec l’éternel des alexandrins de Racine. Un accord parfait. Patrick Sourd
Bérénice de Jean Racine, mise en scène Célie Pauthe, avec Clément Bresson, Marie Fortuit, Mounir Margoum, Mahshad Mokhberi, Mélodie Richard et Hakim Romatif. Du 11 mai au 10 juin, Odéon-Théâtre de l’Europe aux Ateliers Berthier, Paris XVIIe,
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