Longtemps cantonné aux freeparty ou au chemsex, le GBL, cousin légal du GHB, se répand de plus en plus dans les milieux festifs classiques. Depuis décembre 2017, les comas se multiplient dans les boîtes de nuit parisiennes. En mars, un jeune homme de 23 ans est mort à la suite d’une prise accidentelle.
Dans la nuit du 9 au 10 mars 2018, la fête bat son plein au Petit Bain, une péniche du XIIIe arrondissement de la capitale. Dans l’angle d’une caméra, aux alentours de 5 heures, on distingue un groupe de jeunes qui discutent dans un coin de la salle. Une bouteille tombe de la poche de l’un d’entre eux, sans que personne n’y prête attention. Quelques instants plus tard, ils s’éloignent pour aller danser. Cinq ou dix minutes après, un second groupe d’amis, plus jeunes, vient se poser au même endroit. Ils sont en train de discuter quand l’un d’entre eux aperçoit la bouteille sur le sol et s’en empare.
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Il boit une gorgée et tend le récipient à son ami qui l’imite. Le jeune homme grimace, crache immédiatement et sort du champ de la caméra. On apprendra plus tard qu’il est allé se rincer la bouche aux toilettes. Avant de s’évanouir trois minutes après. Son ami porte la bouteille à ses lèvres. Lui ne quitte pas l’angle de la caméra. Il crache à son tour, se met à vomir avant de s’asseoir. Et de s’effondrer au sol.
Le premier jeune se réveille à l’hôpital quelques heures plus tard, sans souvenir de ce qu’il s’est passé. Le second, 23 ans, meurt au service de réanimation de la Pitié-Salpêtrière. Dans la bouteille, du GBL pur.
Problème de santé publique
Cette drogue fait des ravages dans les nuits parisiennes et les clubs « classiques ». Depuis décembre 2017, onze cas de comas ont été recensés dans les boîtes parisiennes, tous dus à une surdose de GBL ou à son mélange avec d’autres produits. Et 22 au total en Ile-de-France pour les quatre premiers mois de 2018, contre 30 sur toute l’année 2017.
Un problème « de santé publique », qui « tétanise » les responsables du milieu de la nuit. D’autant plus inquiétant selon eux que le Petit Bain, une salle de concert qui n’organise que ponctuellement des soirées, n’est pas un lieu connu pour être fréquenté par un public féru de drogue.
« Le fait d’en arriver à des prises accidentelles [comme ce qui s’est passé le 10 mars], prouve que le produit est très présent », analyse Anne Batisse, pharmacienne en addictovigilance à l’hôpital Fernand Widal, spécialisée dans ces questions.
Du solvant industriel sur le dancefloor
Le GBL est la forme brute, non modifiée, du GHB, connue comme la « drogue du viol ». Anne Batisse explique que dans 99 % des cas, c’est du GBL et non du GHB qui est pris par les usagers.
Au départ, c’est un solvant industriel, utilisé entre autres pour nettoyer les jantes de voitures. Dans les années 1990, le GBL commence à être prisé par les initiés des freeparty et dans le milieu LGBT. Puis par les amateurs de chemsex, cette pratique de sexe sous l’emprise de drogues. Mais, selon les témoignages recueillis par Les Inrocks, depuis environ un an et demi, le « G » s’est répandu dans des milieux nettement moins avertis.
Cité par l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies dans un récent rapport sur la question, un médecin parisien résume la situation. « Auparavant, les gens disaient consommer de la MDMA et de la coke pour danser, le reste pour baiser. Aujourd’hui, le GBL arrive sur le dancefloor. »
« J’aurais jamais imaginé en prendre »
Sophie*, 27 ans, l’a testé il y a environ un an. A une soirée chez elle, des amis lui en proposent. Au départ, elle est plutôt réticente. « Ça me dégoûtait de ouf, se souvient-elle. Pour moi c’était la drogue du viol. J’aurais jamais imaginé en prendre. » Avant de sourire. « Et en fait, c’est très drôle. » La jeune femme en a pris à cinq ou six reprises, toujours lors de soirées à domicile.
Elle en prend généralement sur la langue et avale ensuite une gorgée de bière ou d’eau. « Jamais un alcool fort parce que sinon c’est dangereux, mais le goût est vraiment dégueulasse, très chimique. » De fait, c’est du solvant industriel aux relents de détergent. « Ça va très vite. T’es bien, de bonne humeur, un peu flagada. Franchement c’est pas mal. »
« Marge thérapeutique étroite »
Elle met néanmoins en garde. « Il faut le prendre bien dosé, parce que sinon ça peut être fatal. Une petite goutte. » Même si elle assure que ses amis « gèrent bien le truc » et « font hyper gaffe », Sophie n’a pas souvenir qu’ils le dosent à la pipette. Plutôt à main levée.
« C’est pour ça que cela devient très problématique lorsque cette drogue change de milieu, prévient Anne Batisse. Elle demande une grande connaissance. Surtout au niveau du dosage. » Car le GBL présente ce que l’on appelle « une marge thérapeutique étroite ». A des doses très proches, on tombe facilement dans le coma. Cela peut se jouer à quelques dixièmes de millilitre (mL).
« Au niveau de l’effet, on est assez proche de l’alcool, comme si c’était de l’alcool surpuissant, décrit Anne Batisse. Avec la boisson, on est à cinq, dix verres du coma éthylique. Avec le GBL, ça se joue à quelques gouttes près. »
Si les cas de comas et les décès sont rarement liés à la seule prise de GBL et plutôt à des mélanges de drogues ou d’autres alcool, la question du dosage reste primordiale.
« Voilà, c’est ça un ‘G-hole’, mais t’inquiète, on gère »
Lisa* est une amatrice de drogues récréatives pour faire la fête. Elle a testé le GBL l’année dernière, via un cercle de copains, « des gros teuffeurs », qui ne prennent plus que ça, le plus souvent lors de fêtes autogérées. « Ces amis sont très attentifs. Ils ne boivent pas d’alcool et refusent de t’en donner si tu as trop bu. Ils dosent parfaitement, avec des pipettes de 1mL, assure-t-elle. Moi par exemple, je ne prends jamais plus de 0,7 à la fois. »
Pour autant, la jeune femme de 26 ans décrit un phénomène auquel elle a assisté plusieurs fois : le « G-hole ». Soit un coma suite à une dose trop forte. « Ça arrive de temps en temps, relate-t-elle. Et mes amis ne sont pas du tout paniqués. Pour eux ce n’est pas très grave. » Toute juste disent-ils « Merde, il fait un G-hole. »
Elle se souvient d’une fois où un homme a pris du GBL et s’est effondré, pris de convulsions. « Je suis restée avec lui, mais les autres n’étaient pas du tout paniqués, raconte-t-elle. Ils m’ont dit ‘voilà, c’est ça un G-hole, mais t’inquiète, on gère’. » Ils n’appellent pas les pompiers ni les secours. La plupart du temps, le coma se dissipe assez vite. « C’est assez impressionnant quand même, explique Lisa, pas très à l’aise avec ce phénomène. C’est un peu l’idée qu’on se fait d’une crise de manque d’héroïne avec convulsions et tout. »
« On ne voit que la partie émergée de l’iceberg, soupire Anne Batisse. Uniquement les comas que nous remontent les médecins. Tout ce qu’il se passe en dehors, on ne peut pas le mesurer. » En France, il y aurait environ un à deux cas de morts par GBL par an.
Prendre deux doses l’après-midi et manger avec ses parents le soir
Malgré ces dérives, Lisa affectionne le GBL. Elle qui prenait beaucoup de drogue pour faire la fête, « en deux ans pas un weekend sans être défoncée », a nettement réduit sa consommation. Elle a repris du GBL il y a environ un mois. « Mais si je me droguais à nouveau, je prendrais sûrement du GBL », tranche-t-elle.
Elle apprécie l’effet de cette drogue. « Ce n’est pas si différent de la MDMA, mais c’est beaucoup moins fatiguant. » C’est le point qui séduit avec le GBL : l’effet se dissipe très vite. « Ça dure une ou deux heures maximum. Il n’y a pas ce côté angoissant qu’on peut avoir quand on prend de l’ecstasy par exemple. Ce moment où on en a marre et qu’on veut que ça s’arrête. Le GBL ça montre très vite et ça se dissipe très vite. » Ce qui conduit les consommateurs à en prendre plusieurs doses. Lisa n’en prend jamais plus de trois par soirée. « Et il n’y a pas non plus de descente. On peut en prendre deux doses l’après-midi et aller manger chez ses parents le soir. »
D’après elle, « c’est bonne ambiance, les soirées au GBL sont très sympas. Les gens sont de bonne humeur. C’est pas comme avec la coke où ils sont vite agressifs ou la MDMA où on est un peu dans un autre monde ».
Moins de cent euros, mille doses
Le GBL a donc deux particularité : une marge thérapeutique étroite et une cinétique rapide (soit l’équation : ingestion, défonce et dissipation rapides). Outre ces caractéristiques, il est très peu cher. « C’est sûrement pour ça qu’il est si répandu », pense Lisa. Car elle l’assure, elle voit très régulièrement des gens en prendre en soirée et de plus en plus.
« C’est aussi pour ça que les gens en partagent plus facilement. C’est une bonne ambiance. » Le prix de revient est, de fait, quasi dérisoire. « Au lieu de passer une soirée à 100 euros, on a une soirée à 10 euros. » Ainsi, l’amie qui lui en donne gratuitement en achète par bidon et en deale à l’unité des doses de 1mL.
Contrairement à son cousin le GHB, il est impossible à interdire car trop utilisé dans le secteur industriel. A ce titre, il est disponible en quelques clics sur internet. Plusieurs sites lituaniens en proposent, fermant ostensiblement les yeux sur la consommation parallèle qui en est faite, voire l’encourageant discrètement. Mais de grands groupes de chimie, parfois côtés sur les places boursières européennes en vendent également en grande quantité. Ainsi, avec une facilité déconcertante, on peut se faire livrer un litre pour moins de 100 euros. Soit l’équivalent de mille doses.
« Il faut une sensibilisation nationale »
« C’est une drogue en accès libre, s’alarme Aurélien Dubois, président de la chambre syndicale des milieux musicaux, festifs et nocturne. Cela touche un public de plus en plus jeune, il faut prendre des mesures. » Le milieu de la nuit parisienne est très préoccupé par l’apparition de ce nouveau phénomène et par le manque de réactivité des pouvoirs publics
D’après lui, ces derniers ne prennent pas la mesure du risque et l’ampleur du phénomène. « Les fermetures administratives ne servent à rien, peste le tenancier d’une grosse boîte parisienne. C’est une sanction débile. Il faut mettre le paquet sur la prévention auprès des publics ciblés. »
« Mais pas que dans les clubs, s’énerve Aurélien Dubois. Dans les universités, le métro, les lycées. C’est une drogue mortelle, exponentielle et nationale, il faut une sensibilisation nationale. L’État doit mette les moyens. »
Certains pensent qu’il faudrait également, à terme, mettre à disposition des pipettes de un millilitre, de la même façon que les seringues pour les toxicomanes. « Pour réduire les risques » et « arrêter de faire l’autruche ».
Le dernier rempart
Ils exigent aussi un changement dans la relation « de méfiance » entre les autorités et les exploitants. Beaucoup se sentent stigmatisé par les pouvoirs publics et demandent de « sortir du code de la santé publique qui peut [les] rendre complice de trafic de drogue. »
Dans une récente interview, le préfet de police de Paris, Michel Delpuech, a assuré prendre la mesure du phénomène et organiser la tenue prochaine de concertations en vue d’un plan de prévention d’ici à juin. Sans écarter le recours aux fermetures administratives.
Selon Aurélien Dubois les lieux festifs doivent être mis dans la boucle plutôt que montrés du doigt. « Dans le malheur de ce qui s’est passé au Petit Bain, le premier jeune a été sauvé parce qu’on était là. Que se serait-il passé s’ils avaient pris ça dans la rue ? Pareil dans les autres boîtes, les comas sont pris en charge parce qu’on prévient les secours. » Avant de conclure. « On est le dernier rempart avant qu’on ne retrouve des gamins morts sur les quais de Seine. »
Pierre Bafoil
*les prénoms ont été modifiés
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