Si on achète des t-shirts de fast-fashion qui se désintègrent après deux lavages, alors pourquoi ne pas acheter des pièces qui sont programmées pour périr ? Voilà le credo de Claire O’Keefe et Eugenia Oliva, les deux créatrices espagnoles de la marque de bijoux Keef Palas : finalistes de la division Accessoires du Festival d’Hyères, elles visent à décupler le plaisir en mettant une date limite d’utilisation de leurs bijoux, et ainsi faire un joli pied de nez à l’industrie de la mode et son obsolescence programmée. Rencontre.
Comment le projet a t-il vu le jour ?
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Claire O’Keefe : C’était complètement spontané. Eugenia est venue me voir avec deux branches d’olivier, parfaitement symétriques, qu’elle avait trouvé lors d’une ballade. Comme je fabrique beaucoup de choses moi-même, elle s’est tournée vers moi pour que je les transforme en boucles d’oreilles. J’ai ajouté un bout de ficelle, un anneau, et le tour était joué. Quand elle les a portés, les gens l’arrêtaient dans la rue pour lui dire, « Mais qu’est ce que c’est ? ». On a aimé le fait qu’ils posent cette question là, et pas « Où les as tu achetées ? ». On a lancé un compte Instagram qui a commencé à avoir un peu d’attention, donc on a vite oublié les bouts de ficelle pour se tourner vers des attaches plus nobles comme le cuivre ou l’argent. Et Keef Palas est né.
Vous utilisez de la matière première vivante comme des fleurs et des légumes. Faites-vous quoi que ce soit pour les conserver ?
Claire : On ne fait absolument rien pour les préserver : c’est là toute l’idée. Nos bijoux sont éphémères, ils ne durent que pour une période donnée. On ne les traite pas pour qu’ils durent, on aime le fait qu’ils se transforment, qu’ils évoluent, qu’ils changent de couleur et de texture – même qu’ils pourrissent ! C’est une réflexion sur le temps, un peu comme une poésie visuelle.
Eugenia Oliva : On aime bien dire que nos bijoux périment car ils suivent les lois de la nature, et pas les lois du libéralisme économique ! Les gens nous disent, « mais les bijoux vont se casser ! » Et on leur répond : si vous achetez un t-shirt à cinq euros chez H&M, après deux lavages il va être ruiné aussi !
Claire : C’est le même processus que lorsqu’on achète un bouquet de fleurs. On sait qu’il va pourrir et sécher. C’est la même idée.
Où trouvez-vous vos matières premières ?
Eugenia : On habite à Barcelone, à côté de la Costa Brava, donc on trouve beaucoup de choses là bas. Et on va chercher les légumes sur le marché ! On a fait des gousses d’ail, des piments, et même des bananes et des tomates cerises pour quelques shootings photo.
Vous présentez vos bijoux sous emballage plastique. Pourquoi ce choix ?
Eugenia : C’est un lien visuel avec les produits que l’on peut trouver au supermarché. On fait ça car on veut que le consommateur sache qu’une fois qu’ils ont ouvert l’emballage sous vide, le produit va expirer à un moment et qu’il faut donc vite le consommer. Certains de nos modèles doivent aussi être conservés au frigo, pour qu’ils ne pourrissent pas avant même que vous puissiez les porter ! Nos bijoux sont faits pour qu’on prenne du plaisir à les porter – contrairement à de la haute joaillerie traditionnelle, on n’est pas obligés de garder dans un coffre fort !
Vous êtes très engagées pour l’éco-responsabilité dans la mode. Que pensez-vous que les jeunes créateurs puissent faire pour changer le système dominant ?
Claire : Je pense que la première chose à faire est de changer les habitudes des consommateurs, et peut-être qu’ensuite l’industrie changera. On fait tous partie de ce système d’esclavage. Je comprends, j’ai des amis qui travaillent pour le pape de la fast-fashion, Inditex, et c’est compliqué. Ils ont envie de garder leur emploi – surtout dans la situation compliquée dans laquelle est l’Espagne – donc ils choisissent de rester dans ce système. Mais je pense qu’il faut avant tout désapprendre : ne pas se dire que le système est immuable, et qu’il y a une alternative possible.
Retrouvez les bijoux Keef Palas sur leur e-shop, ou à Paris à la boutique A Rebours.
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