[Spécial European Lab] Les initiatives culturelles émanant de la société civile se multiplient en Europe pour répondre à l’afflux migratoire. A Paris, l’Atelier des artistes en exil offre un lieu de travail aux artistes ayant fui leur pays. Rencontre avec Judith Depaule, sa cofondatrice. Le Forum des idées European Lab aura lieu du 7 au 9 mai à Lyon.
Que peut l’art en situation de crise migratoire ? L’art est un espace symbolique de résistance et, si les thèmes de l’exil et de la migration ne manquent pas de préoccuper les artistes contemporains, parmi lesquels Bouchra Khalili, Ai Weiwei ou encore Zineb Sedira, de nombreux projets portés par des acteurs culturels se montent partout en Europe pour améliorer concrètement leurs conditions de vie.
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Des associations, telles que Good Chance Theatre, proposent des espaces de création destinés à animer la vie dans les camps de migrants en France. Des initiatives comme le Station Athens workshop en Grèce, Refugees Got Talent ou Globe Aroma en Belgique, favorisent les rencontres avec des non- migrants et proposent un lieu d’expression aux migrants, pour aider à leur intégration. Le réseau Icorn offre aux artistes des résidences dans des villes européennes, et des ventes aux enchères se multiplient, constituées de dons d’œuvres d’artistes. En France, la vente caritative We dream under the same sky, au Palais de Tokyo à Paris, levait l’année dernière 1,9 million d’euros, ensuite reversés à cinq associations reconnues.
“Nous ne pouvons pas attendre que l’Etat fasse quelque chose”
Cofondatrice d’un projet phare en France, l’Atelier des artistes en exil, Judith Depaule se réjouit de ces initiatives européennes qui émanent, souvent, non des pouvoirs publics mais de la société civile : “Nous ne pouvons pas attendre que l’Etat fasse quelque chose. Tout un chacun est responsable et les artistes, acteurs et lieux culturels doivent être exemplaires.” Quelques mois après son arrivée à la tête de la programmation artistique de Confluences, un lieu destiné à la promotion des arts vivants et plastiques à Paris, cette metteure en scène loge dans l’institution trois réfugiés syriens pendant dix-huit mois.
Judith Depaule est une artiste engagée. Ses spectacles se focalisent sur ce qu’elle appelle des “zones de non-existence”, donnant une visibilité aux histoires tues dont celles des migrants. Mais il est important pour elle de mener en parallèle de sa pratique théâtrale une activité concrète et militante. C’est donc suite à un dialogue avec des artistes syriens en exil, qu’elle décide de fonder un lieu pour subvenir aux besoins spécifiques des artistes expatriés.
“Nous pensons vraiment que les artistes exilés doivent pouvoir continuer à exercer leur art, ils doivent pouvoir le faire en tant qu’individu, car tout homme aspire à être ce qu’il est”
“Certains artistes m’ont exprimé leur désarroi. Ils étaient artistes professionnels dans leur pays et se demandaient ce qu’ils devaient faire pour poursuivre leur activité. Avec Ariel Cypel, cofondateur de l’Atelier, nous pensons vraiment que les artistes exilés doivent pouvoir continuer à exercer leur art, ils doivent pouvoir le faire en tant qu’individu, car tout homme aspire à être ce qu’il est”, abonde l’intéressée.
Forts du soutien du milieu culturel français, Judith Depaule et Axel Cypel ont recherché des financements et, grâce à Emmaüs Solidarité, ont trouvé, dans le XVIIIe arrondissement parisien, un lieu de 1 000 m2 qu’ils ont retapé. En septembre 2017, au 102, rue des Poissonniers, l’Atelier voit le jour. Il comprend neuf ateliers, une salle de projection, une salle de montage, deux studios de musique, deux salles de danse et de théâtre et une salle de vie. De quoi permettre à quelque 200 artistes adhérents – venus de Syrie, de Somalie, d’Afghanistan, du Cameroun… – de travailler et de se socialiser.
Permanence juridique, cours de français et de chant
Mais au-delà d’une aide à la production, l’Atelier des artistes en exil accompagne les artistes dans leurs démarches administratives, dans l’acquisition de leurs statuts et d’aides financières. Pour Judith Depaule, “c’est absolument essentiel, car pour quelqu’un qui ne maîtrise pas la langue, c’est une source d’angoisse terrible”. Le lieu est ainsi doté d’une permanence juridique, mais propose aussi des cours de français et de chant assurés par des bénévoles.
Communauté artistique, transdisciplinaire et transcommunautaire, l’Atelier des artistes en exil apporte une visibilité aux plasticiens, musiciens, comédiens ou cinéastes adhérents, à travers une mise en contact avec des professionnels du monde de l’art en France. “Nous travaillons en lien avec des institutions. La seconde édition de notre festival, Visions d’exil, se tiendra en novembre 2018 au Musée national de l’histoire de l’immigration et permettra à certains artistes de l’atelier de présenter leur travail”, explique Judith Depaule. Cette militante s’affaire actuellement à la préparation d’un festival dans le XVIIIe arrondissement, pour cet été. Des artistes de l’atelier iront performer directement chez l’habitant. L’occasion de favoriser les rencontres et, à petite échelle certes, de participer à actualiser les représentations collectives.
Art et activisme, la création à l’assaut du réel Par We Are Europe, mardi 8 mai, 16 h 15-17 h 30, avec Nikola Ljuca (Heartefact), Máret Anne Sara (artiste et activiste), Judith Depaule (Atelier des artistes en exil), Guttorm Andreasen (Norwegian Broadcasting Corporation). Accès gratuit, sur inscription
L’EUROPE DES CAFES ET DES TIERS-LIEUX
L’Europe, dans ce qu’elle a de plus vivant et de plus créatif, doit beaucoup à l’existence de ses multiples lieux de conversation : des espaces où la pensée circule, s’agite, se bouscule. Des espaces où la conversation, plutôt qu’une sagesse toute faite, devient une “manière de vivre”, comme le suggérait le philosophe Ali Benmakhlouf dans son magnifique livre La Conversation comme manière de vivre (Albin Michel). “Dessinez la carte des cafés, vous obtiendrez l’un des jalons essentiels de la notion d’Europe”, écrivait George Steiner dans Une certaine idée de l’Europe (Actes Sud). Si la vie dans les cafés a nourri la modernité de l’Europe, une nouvelle génération de lieux de sociabilité et d’échanges artistiques et intellectuels offre un nouveau visage à l’Europe du XXIe siècle. Avec le projet La Station, site artistique centré sur la création sonore, piloté par Olivier Le Gal ; avec LaVallée, lancé par Pierre Pevée à Molenbeek, où quelques 150 entrepreneurs créatifs s’agitent et exposent ; avec La Casa Encendida, centre culturel madrilène dirigé par Mónica Carroquino ; mais aussi avec le KET, espace de création artistique imaginé par Dimitris Alexakis à Athènes dans le quartier de Kypseli ; ce sont ces tiers-lieux où s’inventent d’autres usages de la parole, de la création et de la pensée qu’European Lab met en lumière. Grâce à l’existence de ces “hétérotopies” disséminées dans les villes du continent, une certaine idée de l’Europe, joyeuse et rebelle, revit. Jean-Marie Durand
L’Europe des cafés et des tiers-lieux Sofffa Guillotière (27, rue Cavenne, Lyon VIIe), mercredi 9 mai, 10 h-12 h 30, avec Mónica Carroquino (Casa Encendida), Olivier Le Gal (Collectif MU), Pierre Pevée (LaVallée), Dimitris Alexakis (KET), Steven Hearn (Scintillo). Accès gratuit, sur inscription
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