Alors qu’une nouvelle saison est annoncée sur TMC, petit rappel de ce que fut l’une des émissions les plus délirantes du PAF.
Il y a dix-sept ans, “Burger Quiz” débarquait sur Canal+, le temps d’une unique saison, de septembre 2001 à juin 2002. Aujourd’hui, le jeu culte s’apprête à revenir sur TMC, avec “les vieux de la vieille, mais également toute la nouvelle vague d’humoristes”, promet son cocréateur Kader Aoun. Le Burger était la mecque d’une génération shootée aux pochades des Nuls, au Kamoulox et aux happenings des Robins des Bois. Une recette inoubliable.
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“Cette émission a des règles, il faut les suivre, sinon c’est le bordel”, précisait parfois Alain Chabat entre deux vagues d’applaudissements. Rappelons-les : les Ketchup affrontent les Mayo, 25 miams (points) à récolter pour atteindre le Burger de la mort final en quatre épreuves – les Nuggets, Sel ou poivre, le Menu, l’Addition – et au centre, l’arbitre : le Grand Miam.
https://www.youtube.com/watch?v=cw3ra86iM_U
Derrière ce nom mégalo se cache Kader Aoun, auteur-metteur en scène de Jamel Debbouze et créateur de la sitcom hospitalière H. Lorsqu’en 1999, un numéro du Jamel Show intègre en son sein une édition spéciale du Journal télévisé des Nuls animée par Alain Chabat, c’est la plume d’Aoun qui s’agite en coulisses.
Un hybride de (contre-) culture, de spectacle et de vacheries
Ce programme qui a succédé à Nulle part ailleurs est l’incarnation de l’infotainment à la Canal, cet hybride distingué de (contre-) culture, de spectacle et de vacheries. Concocter le Burger Quiz permettait à Kader Aoun de perpétuer ce mix aussi secret que la sauce McDo. “Cette année-là, Jamel tournait dans Astérix et Obélix – Mission Cléopâtre, on se croisait donc souvent. A l’origine, ce jeu est juste un prétexte pour écrire des conneries avec Alain”, raconte-t-il.
Des conneries qui tiennent la route. Si l’émission captive dès l’épisode pilote de la rentrée 2001, c’est par sa mécanique bien huilée – à l’huile de friture certainement – l’efficacité de son écriture ludique, ses enjeux, la diversité des formats qu’englobe une partie – QCM, questionnaire de rapidité ou à double réponse. Pour remporter le tournoi, il faut conquérir le Burger de la Mort. Soit, sous « la lumière qui fait peur », retenir une dizaine de questions insensées puis y répondre dans l’ordre, malgré les fous rires alentours. La spéciale “nouvel an” du show voit ainsi Jamel s’efforcer de mémoriser trente questions toutes plus incongrues les unes que les autres. Un énorme gag cérébral, qui épuise le mental autant que l’humour.
“Le Burger de la Mort était un vrai cauchemar » se gausse Bruno Salomone, voix off du jeu aujourd’hui convaincu de la finalité philosophique de ce grand bazar : “Ça n’avait rien à voir avec Le Maillon faible ! Mal répondre mais avec un bon mot suffisait pour gagner le point. Imagine une société où balancer une blague te permettrait de convaincre ton banquier, on nage dans l’utopie. C’était ça la morale du Burger Quiz : l’important c’est de participer… mais perdre avec une bonne vanne c’est encore mieux.”
Le Burger Quiz est un Las Vegas déguisé en diner de carton-pâte. Quiconque s’y attable est saisi par la fièvre du jeu. “Quand tu es sur le plateau, tu as juste envie de gagner, tu oublies presque que tu es filmé”, se souvient Maurice Barthélemy, participant fidèle de ce Quiz qu’il dit “beaucoup plus libre, transgressif, moins vieillot qu’une émission classique, plus proche d’un jeu de société entre potes le week-end”.
Une nouvelle vague d’humoristes face à ses parents spirituels
A le revoir, le Burger Quiz est un idéal de show, cocon bien chaud où l’on s’enferme par pure nostalgie. Ce fast-food fantasmé où les participants s’acharnent sur des cheese buzzers est le jardin secret d’Alain Chabat, là où se fertilise sa propre “culture”.
“Le Burger Quiz prouve l’importance que prend la pop culture dans sa vie. Tout Alain s’y retrouve : sa passion des encyclopédies ricaines à deux balles type ‘les choses à savoir avant de mourir’, ces séries de bouquins remplis de ‘Le saviez-vous ?’, son amour de la bande dessinée, des films d’horreur, des groupes de rock oubliés”, détaille Aoun, tout en verve quand il s’agit d’évoquer « ces longues heures passées au téléphone avec Alain à disserter de cette sous-culture, notre base de données principale, une armada de documentaristes derrière nous« .
B(r)ouillons de culture, les fiches de ce jeu encyclopédique d’avant Wikipédia sont écrites comme un spectacle de stand up. D’où « cette toute nouvelle écriture du jeu, entre la parodie et la précision, où la vanne se fraye un chemin vers le savoir » développe Jérôme Revon, réalisateur attitré de l’émission. Là-bas, Chabat convoque sa famille. Comme lors d’un repas dominical, les générations se rencontrent et les esprits s’échauffent. Une nouvelle vague d’humoristes fait face à ses parents spirituels. Jamel Debbouze, Gad Elmaleh, les Robins des Bois, Eric et Ramzy, Kad & O, période “chanteurs inconnus”, croisent Antoine de Caunes, Daniel Prévost, Philippe Gildas, Gérard Jugnot.
« Le Burger Quiz était une cour de récré, une ode à cette beauté juvénile qui habite Alain, cet esprit bon enfant et sale gosse » appuie Maurice Barthélemy. Celui qui a justement mis en scène la fibre paternelle de Chabat dans l’excellent Papa se souvient encore « du bureau d’Alain, une vraie chambre d’ado aux étagères encombrées de figurines, un terrain de jeu comme l’était le plateau du Burger« . Assister au Burger Quiz, c’est aussi se dire le spleen en sourdine qu’on ne reverra peut être jamais les Nuls réunis dans une émission. Une époque s’achève.
Une résistance organisée contre Jean-Marie Messier
Mais comme dirait l’autre, pas le temps pour les regrets. « Je vais pas te sortir les médailles d’anciens combattants de ‘l’esprit Canal’, c’est un mot qui énerve plein de mecs comme moi » confesse Kader Aoun avant de relever : « Il faut surtout comprendre que ce jeu est un hommage à Pierre Lescure et Alain de Greef, c’est un comedy game sans prompteur, pour l’amour de l’art ».
Ce casse-dalle au goût de madeleine sort d’une maison Canal sous haute tension, tiraillée entre les directives patronales de Jean-Marie Messier, pdg de Vivendi (le groupe propriétaire de la chaîne cryptée) et les convictions du dirigeant historique Pierre Lescure. Au printemps 2002, Lescure est limogé.
S’ensuivent quarante-six minutes d’émission en direct, casting haut standing à l’appui. Le pdg est assassiné au fil de fiches acerbes comme des textes de stand-up (« anagramme de Judas« , « n’enlève pas les taches, mais les engagent« , “Jean-Marie Messier est tellement nul en business qu’il a perdu des parts dans sa boîte de Vache qui rit”). Calé sur une chaise, Michel Denisot s’esclaffe.
“Sans de Greef et Lescure, ce jeu n’aurait jamais existé. Ils laissaient les clefs de l’appart aux locataires et chacun se sentait chez lui. Le renvoi de Lescure s’est fait de façon si peu classe que le Burger Quiz est devenu une tribune : on pensait que si Lescure partait, Canal partirait avec lui”, détaille Maurice Barthélemy.
L’esprit Canal
D’une voix apaisée, il ajoute : “Bien avant le management de Bolloré, le Burger Quiz était déjà un chant du cygne : l’un des derniers soubresauts de l’esprit Canal.” Un manifeste où s’enlacent les piques complices de Farrugia, l’élégance trash de Chantal Lauby, la décontraction très café-théâtre de Gad Elmaleh, le nonsense acide des Robins des Bois, le ton de la revue Pilote – Gotlib s’y invite, Goscinny est régulièrement invoqué – le cinéma de genre, le porno, le foot. Bref, l’esprit.
L’esprit Canal pourrait tout aussi bien résider dans ce portrait de Groucho Marx, amoureusement placardé dans l’arrière-boutique. On perçoit à travers le maestro moustachu ce sans quoi le Burger Quiz serait fade : l’anarchie organisée. Cet instant où Eric et Ramzy balancent des bouteilles de ketchup sur Joey Starr. Où Jamel traverse le plateau avec un extincteur. Lorsque l’on ne sait jamais quand va finir la vanne et quand va commencer la question. “On est en direct-enregistré » ironisait Chabat pour excuser une bafouille, « en direct approximatif » ou « en léger différé du studio où on enregistre », introduisait sur le même ton Bruno Salomone.
« C’était de l’humour sans jugement, sans arbitres, à la française, on se laisse le droit à l’imprévu et donc à l’erreur, aux failles, on les assume et on s’en sert« . nous avoue ce dernier. Respirations et silences sont conservés au montage final, au fil de tournages qui ne s’éternisent pas. « C’était une émission mouvementée, qui débordait du cadre, précisément parce que celui ci était implacable : la rigueur d’écriture permettrait le lâcher prise le plus total, le happening, ouvrait la voie aux débordements et à la surprise, comme on en voit pas ailleurs » raconte Jérôme Revon.
La logique des trois D d’Alain Chabat : Dénonce, Déconne et Danse
Au Burger, l’addition est salée pour tous. Les starlettes de télé-réalité sont raillées jusqu’à saturation (« La capitale de la Mongolie est-elle le Loft ?« ). Les vanneurs du Burger semblent franciser cette pique de Woody Allen citée au détour du questionnaire « Télé Poubelle » : « Los Angeles est une ville propre car ils recyclent toutes leurs ordures dans leurs shows télé« . On demande à l’animateur Arthur de choisir entre l’affirmation “le boucher est celui qui vend de la viande de bouc” et “le Etienne Mougeotte est celui qui vend de la merde”.
Du lundi au vendredi, ce jeu nous permettait « d’apprendre des choses qu’on aura oublié dès l’émission terminée » et de « se lever moins con qu’on ne s’était couché« , avouait Chabat au détour d’une émission. Tout semblait limpide. Pourtant, à l’instar de John McLane, le héros de Piège de cristal, le Burger Quiz arrive au mauvais endroit, au mauvais moment : en septembre 2001. Le 11 du mois et pour bien longtemps, le public aura les yeux scotchés sur les journaux télévisés. La boîte à images est submergée par celles des attentats. « Ça fait bizarre, elles sont moins rigolotes les blagues d’un seul coup » admet à Frédéric Taddei un Chabat qu’on imagine las. « Avant les attentats, on avait écrit un Questionnaire Talibans. On s’y intéressait déjà avant qu’ils explosent New York ! » jubile Kader face au présentateur de Paris Dernière, ajoutant que les audiences du jeu chuteront « à moins qu’un avion ne s’écrase sur le restaurant« . Mieux vaut en rire…
C’est comme si l’effondrement des tours jumelles avait scellé la note d’intention de la saison qui suivra : la vanne doit survivre à tout. Des plus grands drames aux bouleversements internes du navire Canal. Si l’insolence est volontiers gratuite, elle se politise à l’occasion. Le plaisir du bon mot l’emporte sur la bienséance mais ne délaisse jamais la substance de l’irrévérence : l’humour est aussi absurde que « conscient ». « Alain avait une expression pour ça, la logique des trois D : Dénonce, Déconne et Danse. De la rigolade spectaculaire avec une bonne dose de transgression, de mauvaise foi et de bêtise » se remémore Kader Aoun. Le menu « Racisme ordinaire » aligne ainsi les « funfacts » post-coloniaux malaisants, le temps d’une séquence sur le fil où il s’agit non pas de rire de, mais de rire contre.
Alors que se profile la fin de la première saison, Jean-Marie Le Pen accède au second tour des élections présidentielles face à Jacques Chirac. Avant que les Français retournent dans les urnes, Chabat décide de « faire barrage » à sa manière. « Vrai ou faux : suite aux résultats du premier tour, les candidats de Loft Story n’apparaissent pas tellement plus cons que nous ? » décoche-t-il face au cinéaste Bertrand Blier, surnommé « Dieu ». Au fil des question, il est supposé que Le Pen « organisera la reconstruction du Vel d’Hiv, au cas où » et que Bruno Mégret sera nommé « ministre de l’Humour et des Divertissements« . Derrière le sarcasme s’immisce l’angoisse. L’intitulé du Menu (« Envie de rire ou envie de vomir ?« ) résume tout.
L’émission “barrage” à l’élection de Jean-Marie Le Pen se conclura sur un magnifique : “Jean-Marie Messier s’appelle Jean-Marie, et on aurait dû se méfier depuis le début.” Aucun perdant au Burger Quiz. Quand le buzzer retentit, c’est toujours l’impertinence qui gagne.
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