L’espace d’art de La Verrière à Bruxelles accueille le duo d’artistes Marie Cool et Fabio Balducci et leurs gestes de micro-résistance.
Être cloué à son bureau et n’avoir rien à faire. Paralysé, dépité, déprimé, scroller sans fin son fil d’actualité Facebook, regarder l’heure. Bref, mourir d’ennui. Après le burn-out, c’est au bore-out d’apparaître comme un syndrome de l’époque : une déprime encore taboue mais qui affecterait entre 15 et 30 % des salariés. Marie Cool et Fabio Balducci en seraient le pendant artistique. Ils en seraient les victimes, mais des victimes résilientes et résistantes, tirant profit du vide pour évaluer les conditions de nos existences confinées dans un bureau et, plus largement, dans un monde régi par des lois physiques. L’eau, l’air, le vent, la pesanteur, la lumière sont leurs médiums ; auxquels il faudrait ajouter l’attirail standardisé de l’employé de bureau : une photocopieuse, des blocs de papier A4, une règle transparente, un peu de scotch et un bon paquet de stylos-billes.
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Régime du sabotage
Lorsqu’on est abattu moralement, qu’on s’ennuie, que fait-on ? Et bien, si l’on ne regarde pas dans le vide, on passe le temps, on compte les mouches, on griffonne. Marie Cool et Fabio Balducci parviennent eux si bien à s’ennuyer, à bricoler avec deux trois bouts de ficelle, qu’ils donnent naissance à de la poésie. Une poésie pratique, presque maniaque mais précaire : Marie Cool et Fabio Balducci sont de faux travailleurs. Un duo de résistants silencieux qui, selon le commissaire de l’exposition, Guillaume Désanges “défie le travail comme entité structurant sur le régime du sabotage” et “critique des normes de l’économie administratives”.
Alors, qu’est-ce que ça donne concrètement ? Des actions très simples et précises qui mesurent et touchent aux frontières de l’espace. Ce sont des gestes performés et filmés, comme un bout ficelle qui affleure et transperce une flaque d’eau, un fil de coton qui lentement brûle en suspension sur un bureau, une règle posée au sol mesurant un rayon de soleil sans fin, l’ombre d’une feuille A4 occultant une autre feuille blanche posée sur un bureau. Et puis des dessins, des milliers de dessins, peu montrés – surtout réalisés par Marie – des « activités » comme les appellent Fabio. Guillaume Désanges en a sélectionné une soixantaine et les a disposés sur une planche qui encercle l’espace d’expo. « Comme une rumeur », selon ses mots.
La résistance s’organise de l’intérieur
La résistance s’organise de l’intérieur. Et qu’il s’agisse des règles physiques qui conditionnent l’espace et nos mouvements ou celles du travail tertiaire, le duo épouse puis déplace les lignes, pour les faire imploser. Ou plutôt pour les faire doucement trembler. Mine de rien, ils exécutent des gestes de résistance, hommages à la simplicité, la lenteur, à l’infime. Une posture qui colle à leur attitude : « une répugnance à tout ce qui pourrait faire système ou norme » selon le commissaire. Car Marie Cool et Fabio Balducci cultivent la discrétion, montrent peu leurs œuvres, rechignent à documenter et même à vendre.
Alors que leur a-t-il donc pris d’exposer à la Verrière, le lieu de la fondation d’entreprise Hermès, un lieu caché duquel on a accès en traversant un magasin de cette marque de luxe ? Et en plus, d’ouvrir l’exposition au moment même où le monde de l’art a délogé à Bruxelles à l’occasion de la foire Art Bruxelles ? Une réponse se trouve probablement dans la pièce centrale de cette exposition : un immense et épais bureau d’avocat en bois de prêt de 5 mètres de long. Il faut le contourner pour pénétrer dans l’exposition car il est situé juste à l’entrée. Il a été retourné. Comme une barricade.
Marie Cool et Fabio Balducci. Une exposition du cycle “Poésie balistique” curateur : Guillaume Désanges – La Verrière, Bruxelles. Du 18 avril au 7 juillet 2018.
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