Rebecca Manzoni présente depuis quatre saisons « Pop & Co », la pause musicale du 7/9 de France Inter. Une chronique mixée en direct où chaque silence, chaque seconde et chaque minute ont leur importance. Portrait millimétré d’une quarantenaire qui décoiffe.
Il est 22 heures. La journée du jeudi 12 avril touche à sa fin, et, après avoir résisté aux multiples incitations à sortir, l’aimable auteur de ces lignes est sur le point de se coucher. Car il s’est fixé une mission. Suivre la rockeuse Rebecca Manzoni lors de son passage dans la matinale de France Inter, à… 7h24.
Un horaire qu’il est important de préciser, car, pour la journaliste radio de 45 ans, le temps est d’une importance capitale. Dans ses chroniques, la mélomane joue en permanence avec les mots comme s’ils étaient des notes de musique, les plaçant au bon endroit au bon moment, sur une partition qui ne dévie jamais.
Du lundi au jeudi, Pop & Co s’intéresse à une nouveauté musicale, qui peut être le jeune prodige sud-africain Nakhane, comme la grande dame de la chanson française Françoise Hardy. Le vendredi, « souriez », dit-elle, tout est permis. La pastille prend le nom de « Tube & Co » et revisite, en quatre minutes chrono, un succès des années 80 comme des années 2000. Tout y passe : Céline Dion, Earth Wind and Fire et même Britney Spears. L’occasion de réaffirmer haut et fort que Toxic est un chef-d’œuvre de la pop.
Un sourire communicatif
Il est 5h30. Rebecca Manzoni se lève, se prépare puis saute dans un taxi depuis Saint-Ouen. Direction la Maison de la Radio dans le XVIe arrondissement de Paris. Elle passe les portiques de sécurité à 6h30. Alors que ses talons résonnent dans le hall désert du fameux bâtiment circulaire, elle nous cherche du regard. Quand elle nous voit, sa bouche, rehaussée d’un rouge à lèvres carmin, forme un sourire communicatif qui ne la quittera pas de la matinée.
Dans le « bocal », la pièce de France Inter où la rédaction réceptionne tous les sons, la native de Longwy (Meurthe-et-Moselle) claque la bise à un Ali Baddou un brin fatigué mais qui assure « ne pas avoir fait la fête la veille ». C’est bientôt les vacances pour certains journalistes de la rédaction et leurs visages s’illuminent à l’évocation de ce mot. Rebecca Manzoni, installée dans le 7/9 depuis quatre saisons, ne semble pas fatiguée. Elle a pourtant deux petites filles, de 4 et 9 ans. « La première année à la matinale j’ai pris très cher », rigole-t-elle. Maintenant ça va mieux.
« Le matin, on est mal réveillés et dès qu’on voit Rebecca, c’est un vrai rayon de soleil, elle est tout simplement joyeuse. C’est à la fois une super camarade et une très grande pro », confie Ali Baddou, visiblement charmé par la personnalité et le travail de la journaliste. Lui qui la côtoie depuis bientôt deux ans est « toujours curieux de découvrir les chansons dont elle va parler ». « Comme elle parle de tube, on va le garder dans la tête toute la journée. Parfois on est super contents. Et d’autres jours on se dit « oh non pas cette musique », comme quand elle a parlé de « My Heart Will Go On » de Céline Dion », dit-il en explosant de rire.
Deux cafés et c’est parti
Il est 6h40. La DJ de la matinale entre dans le studio pour répéter. Sa chronique est mixée en direct et rien ne doit être laissé au hasard. En ce vendredi 13 avril, elle a choisi Louxor j’adore de Philippe Katerine, dont la voix aigüe fuse des haut-parleurs. Avant d’être coupée. Puis de revenir. Rebecca Manzoni s’amuse à prendre le chanteur au mot quand il lance son célèbre : « Et je coupe le son ».
Sa pastille, elle l’écrit toute seule. Dans ce travail minutieux de décorticage d’une chanson, la mélomane est épaulée par deux personnes, Hugo Combe, qui réalise un travail de documentation, et Flora Bernard, qui s’occupe de rechercher les sons. La quarantenaire rédige et répète la veille du 7/9. Tout doit tenir en quatre minutes maxi. « Les temps sont au cordeau dans une matinale », souligne-t-elle, en regardant sa montre bleu ciel au poignet.
C’est le moment d’un deuxième café. Posée dans un canapé moelleux d’Inter, Rebecca Manzoni a encore un bon quart d’heure avant de passer à l’antenne. Avec sa voix douce si reconnaissable, elle nous explique prendre énormément de plaisir dans l’écriture de ses chroniques, finement ciselées.
Le langage radiophonique lui parle plus que tout autre, écoutant ce média depuis son plus jeune âge. « Je me souviens que j’avais un ghetto-blaster dans ma chambre, où je pouvais enregistrer des émissions de radio directement sur des cassettes », dit-elle. Face à notre inculture monstre concernant l’objet, elle nous mime alors ces rappeurs qui se baladent avec cette énorme radio sur les épaules. Sur quelle station se branche-t-elle à l’époque ? France Inter, déjà, une station que ses parents écoutaient.
Fast and Furious
Des années plus tard, après un passage en prépa littéraire, la mélomane étudie un an au sein de l’IUT de journalisme de Bordeaux, qui s’appelle aujourd’hui l’Institut de journalisme Bordeaux Aquitaine (IJBA). Un moyen pour elle de multiplier les stages et de concrétiser ses rêves de radio avec un premier passage à RTL.
Ceux qui l’ont croisée à cette époque dans les locaux de Radio Télé Luxembourg doivent encore s’en souvenir. Rebecca Manzoni n’a pas cassé une, n’a pas cassé deux, n’a pas cassé trois mais cinq voitures de fonction. « En seulement quinze jours, j’ai arraché le rétroviseur d’une voiture, je suis rentrée dans une bagnole avec une autre, j’ai noyé le moteur d’une troisième… Quand j’ai démarré mon stage chez RTL, je n’avais mon permis que depuis trois jours », se justifie-t-elle dans un grand éclat de rire.
https://www.youtube.com/watch?v=iKP-sQ5VlgI
La réputation de fast and furious de la jeune étudiante de 24 ans ne fait pas froid aux yeux d’Olivier Nanteau, qui, à la sortie de son école, la prend sous son aile au Mouv. Là-bas, elle multiplie les reportages que ce soit sur des sujets culturels comme la bande dessinée ou des sujets santé comme l’IVG et le sida. Celle qui impressionne aujourd’hui par sa fine connaissance musicale – elle a quinze ans de violon derrière elle – a donc commencé par l’actualité pure et dure.
Un attrait pour l’information générale qui ne la quitte pas aujourd’hui. « Ce qui m’intéresse c’est de savoir comment parler de musique à 7 heures du matin. Comment on fait entrer l’actualité dans la musique. Pour moi la musique c’est la bande-son d’une époque, actuelle et ancienne. »
Dominique Seux on fire
Il est presque 7h20, l’heure pour la casseuse de voitures de rejoindre le studio de la matinale pour y délivrer sa chronique. Elle s’installe aux côtés de Nicolas Demorand, l’anchorman du 7/9 depuis presque neuf mois, avec qui elle partage de nombreux fous rires avant de disséquer « Louxor » de Philippe Katerine.
Depuis la régie, Juliette Hackius, assistante d’antenne et d’émissions, abonde dans le même sens qu’Ali Baddou : « J’ai eu un super feeling avec Rebecca Manzoni. C’est une énorme bosseuse à la fois simple et exigeante ». Des journalistes aux travailleurs de l’ombre d’Inter, tous sont sous le charme de la DJ de la matinale.
Nicolas Demorand n’a pas résisté, lui aussi. « Rebecca est une grande voix de la radio. Nous n’avions jamais travaillé ensemble avant. Avec elle, c’est une surprise quotidienne et c’est important dans notre média d’être surpris tous les jours ».
“Sur le fond, sa chronique est un objet radiophonique exceptionnel, très élaboré sur le plan de l’écriture, poursuit-il. Elle joue avec les mots, les tonalités, les morceaux, la fluidité, la rupture. Tout est calé à la demi-seconde près. C’est un petit diamant. Rebecca est drôle et malicieuse. Très souvent on se regarde dans les yeux et on sait qu’on va éclater de rire.”
L’un des grands plaisirs de la mélomane d’Inter est « de [me] faire dire des propos d’artistes comme « Je suis une femme, je me maquille et les mecs me kiffent ». Parfois j’hallucine et je me dis « comment tu peux prononcer une phrase pareille », rigole-t-il. L’anchorman du 7/9 raconte alors, au bord des larmes, cette fois où le journaliste économique Dominique Seux, en costume-cravate, est entré en dansant… sur une chanson de Madness. « Pop & Co » et « Tube & Co » sont « des moments de chaleur collective dans le studio », résume-t-il.
Rêver en radio
Il est 7h30. Rebecca Manzoni regagne son bureau pour travailler sur sa prochaine chronique. Cette pièce reflète parfaitement la personnalité de la Lorraine. Des livres, des DVD et des CD partout, les étagères pleines à craquer. Derrière elle, un vinyle. Amoureux solitaires de Lio, l’un des premiers disques qu’elle a achetés avec Chacun fait ce qu’il lui plaît de Chagrin d’amour.
Dans ce temple de la culture, la journaliste se souvient avoir toujours voulu faire de la radio. « Quand on écoute la radio, on se fait son film. On se fabrique des images avec du son et de la voix. J’ai un rapport très visuel avec la musique », explique-t-elle. Son goût pour la chanson remonte loin. Elle se souvient de son père, branché chanson française et bossa nova, qui écoutait Brel ou Pierre Vassiliu. L’album Qui c’est celui-là ? l’a particulièrement marquée, surtout la chanson Film.
« C’est une déambulation nocturne d’un mec qui va aux putes. J’avais 10-12 ans quand j’écoutais ça et je me disais : il parle de putes c’est tellement subversif », rigole-t-elle. J’habitais Longwy et c’était un univers à des années du mien.”
Une vagabonde musicale
Il est 8 heures. Le temps de quitter Rebecca Manzoni est presque venu. Cette dernière aborde alors, à la fin de l’entretien, comment tout a commencé pour sa chronique. Depuis presque vingt ans, elle a tout fait sur la radio publique : les émissions d’été comme la présentation de son propre programme Eclectik.
Il y a cinq ans, la rockeuse d’Inter se décide à parler à Patrick Cohen de son idée de décortiquer avec bienveillance une chanson qui a marqué les esprits, un tube. Elle accouche alors de « Tube & Co » puis de « Pop & Co ». « Avec Patrick, nous avons la même culture très buissonnière. C’est un dingue de son qui peut à la fois écouter des musiques de films comme Annie Cordy« , souligne-t-elle.
« Quand Rebecca est venue me parler de sa chronique, je les connaissais elle et son travail depuis longtemps donc j’avais par principe confiance dans ce qu’elle pouvait me proposer, se remémore Patrick Cohen. On a les mêmes passions, pour la musique mais aussi pour la culture populaire. Ce qu’elle m’avait vendu c’était un traitement des expressions de culture populaire. L’idée d’avoir un regard intelligent pas méprisant ni cynique sur ce qui fait chanter les foules, ça m’a de suite plu ! »
Celui qui officie maintenant sur Europe 1 se souvient, comme tous ceux qui ont travaillé avec elle, d’une journaliste « méticuleuse », « curieuse » et d’une « énorme bosseuse ». Il raconte : « Une fois on l’a amenée à Cuba, quand Hollande visitait l’île. Elle avait travaillé comme une folle pendant que nous avions un peu de temps libre et sa chronique avait été légèrement sabotée en direct par des erreurs de diffusion. Elle était très malheureuse mais il restait tout le reste de son travail ».
Cette grande angoissée affirme, enfin, « se sentir très bien à France Inter », la seule radio « où elle peut parler de Céline Dion et Nakhane la même semaine ». Une maison avec laquelle elle devrait continuer à collaborer sur de nouveaux supports. Des vidéos sur la pop féministe sont notamment en préparation. Wait and see.