Quelques années dans la vie d’une jeune femme découvrant l’amour, le travail, le deuil et la maternité. Un portrait sobre et sensible.
Milla est une blonde peroxydée de 17 ans. Avec le brun Leo aux cheveux longs (Luc Chessel, très bien, par ailleurs critique à Libération et occasionnellement aux Inrocks), qui fait une tête de plus qu’elle. Ils errent dans le département de la Manche, volant de quoi manger, squattant une maison vide. Ils s’aiment, s’amusent, vie de bohème. Ils n’ont pas d’argent. Des punks sans chien, des petits Rimbaud qui rêvent de poésie et de dérèglement de tous les sens dans un monde où ne prime que l’argent. Et puis Milla s’avère être enceinte, Leo trouve un boulot : pêcheur sur un chalutier.
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Milla est un petit miracle. Il n’y a pas dans ce film un seul plan qui paraisse insensé, bancal, inutile, et pourtant, comme le disait Jacques Dutronc du cinéma de Maurice Pialat, la “peinture n’est pas sèche”. Le film dégage cette impression rare d’avoir été pensé du début à la fin, de l’écriture au montage, que son auteur s’y est investi totalement, jusqu’à jouer un rôle (important, même si assez court) dans le film, un rôle protecteur. Pourtant, ce contrôle de la mise en scène n’étouffe rien de la vie, de l’air du temps, de l’improvisation, quand il chope un bout de la vie d’une jeune femme seule, même quand elle est accompagnée. Parce que tout le monde est seul.
Milla est aussi documentaire, donc, non seulement attentif à son personnage principal, mais plus encore respectueux de ce qu’il est, sans jugement, sans volonté de violer sa vie intérieure. Avec ce sentiment, chez le spectateur, que ce que l’on voit à l’écran aurait pu être totalement différent, se dérouler autrement à la seconde où il a été filmé. Sans doute aussi parce que son interprète principale, Séverine Jonckeere, vraiment géniale, y “joue” ce qu’elle a vécu dans sa propre vie : la solitude face à la maternité, la précarité économique, la fatalité sociale dans une société libérale qui ne sait prôner que le travail comme seule valeur culturelle et morale.
On trouve parfois de petites maladresses, des scories (ces petites incartades kaurismäkiennes – même si l’on peut trouver pire comme référence), mais ce ne sont que péchés véniels (c’est seulement le deuxième long métrage de Valérie Massadian, après le remarqué Nana) par rapport à la cohérence, à la réussite formelle du film : son sens du récit (de magnifiques ellipses, trois blocs), la beauté de l’image, la sobriété de son filmage (plans fixes), de son titre et de sa direction d’acteur.
Milla, c’est tout un dispositif artistique, très précis, mis au service d’une jeune femme réelle que personne ne connaît, qui n’est “rien” selon les valeurs macroniennes, et dont Valérie Massadian, qui fut d’abord photographe (surtout de femmes), livre un sublime portrait, qui nous dit combien Milla est tout, belle, vivante, pleine d’énergie, courageuse, généreuse sans jamais la ramener ni se mettre en valeur, mais qu’il est quasi impossible de vivre hors de la société pour survivre. L’esthétique rejoint ici le politique dans une totale harmonie. Le film a notamment reçu le prix spécial du jury international et le prix Audentia de la meilleure réalisatrice lors du dernier Festival de Locarno, en août dernier, et ce n’est que justice.
Milla de Valérie Massadian, avec Séverine Jonckeere, Luc Chessel (Fr., Port., 2018, 2 h 08)
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