A Marseille aujourd’hui, dans un pays dominé par un pouvoir fasciste, un homme tente d’échapper aux persécutions… Un mélo austère et angoissant par une figure du renouveau du cinéma allemand.
Le thème de l’identité était au cœur du précédent film de Christian Petzold (Phoenix, 2014), immersion dans les tourments d’une jeune femme défigurée, à la recherche de son époux. Est-on toujours soi-même avec un autre visage ? Si, quatre ans plus tard, Transit creuse le même sillon, il le fait moins comme un hommage inversé à Vertigo (le double féminin), et s’attache à une autre partie dont le manque ou l’échange suffirait à faire vaciller une vie. Comme l’héroïne de Phoenix, l’homme qui hante Transit est un être morcelé, divisé, qui a usurpé son nom. Son destin est une errance et une fuite, lui tenant lieu de quête pour mieux savoir, à la fin, peut-être, qui il est.
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Et quoi de plus indiqué pour instaurer ce flou qu’un pays en guerre ? Petzold n’a cessé de sonder l’histoire traumatique de l’Allemagne (Phoenix se situait dans l’immédiat après-guerre tandis que Barbara, un précédent long métrage, mettait en scène la RDA des années 1980) comme on visite une maison hantée. C’est peut-être pour cela que ses images sont trouées d’ombres, fascinants objets aux contrastes clairs obscurs. Mais dans Transit, les choses ne sont pas si simples : nous sommes à la veille d’un conflit indéterminé et des populations entières sont traquées. Ce pourrait être des Juifs, des migrants, le résultat est le même, on les stigmatise et les déplace/déporte on ne sait où.
Force extrême de ce dispositif : Petzold coupe avec les afféteries de la fiction d’époque et se concentre sur une dynamique mortifère, rien qu’elle, dans une trame quasi allégorique de la guerre et ses persécutions. Nous sommes à Marseille, que le héros tente de fuir par tous les moyens, comme certains Juifs ont fui les nazis pendant l’Occupation, dans l’attente d’un bateau. Mais comble de l’absurde, le destin met sur sa route l’épouse de l’écrivain dont il a volé l’identité, elle aussi en danger. Le film prend alors la voie d’un mélo austère confinant à l’abstraction.
L’intrigue de Transit ressemble à un roman de Modiano, même s’il est adapté d’un livre de l’écrivaine Anna Seghers ; travaillé par le trauma de la guerre, par la même impossible amnésie, par la recherche d’une femme aimée comme un vecteur de résilience et d’apaisement. Un retour de croyance en l’absolu. L’autre matière sacrée étant le rapport au temps, une substance étirée jusqu’à nous plonger dans un état de cauchemar et de torpeur, addition de deux époques, passé et présent, offrant un puissant jeu d’échos et un vertige temporel.
On peut trouver Transit un poil ennuyeux, parfois raide dans la forme. Il y a beaucoup de scènes énigmatiques, d’allers et venues, de hasards – jusqu’au dernier plan du film qui offre une fin assez désespérante. Mais les interprétations très senties de Franz Rogowski – le Joachin Phoenix allemand – et Paula Beer contrebalancent un léger manque de chair et d’incarnation, tout en collant à ces atmosphères atemporelles et étranges qui font de Transit un thriller contemplatif plus voisin des œuvres de Buñuel ou Oliveira que d’un traditionnel film de guerre.
Transit de Christian Petzold, avec Franz Rogowski, Paula Beer (All., Fr., 2017, 1 h 41)
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