Filmée au ras du réel, la vie quotidienne d’une famille de prolétaires de Cologne. Conçu pour la télévision publique allemande et inédit en France, ce feuilleton est aujourd’hui diffusé en salle.
En 1972, le jeune (26 ans) Rainer Werner Fassbinder a déjà mis en scène plusieurs pièces de théâtre, signé des feuilletons à la radio et tourné, entre autres, Le Marchand des quatre saisons et Les Larmes amères de Petra von Kant. C’est donc “pour se reposer”, dira-t-il, qu’à la demande de la WDR (première chaîne de la télé allemande), il réalise Huit heures ne font pas un jour, un feuilleton en cinq parties qui sera diffusé à raison d’un épisode par mois, d’octobre 1972 à mars 1973, le dimanche, à 20 h 15.
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Ces informations laissent évidemment pantelant de stupeur et de mélancolie : il fut donc un temps où une chaîne de télévision publique commandait à un jeune auteur réputé “difficile” un feuilleton qui “raconte des histoires humaines”. Mais le danger d’une méchante nostalgie se dissipe à la vision contemporaine de cette série, jusqu’alors inédite en France, qui s’annonce en sous-titre comme “familiale”. On se doute qu’une certaine malice hante cette appellation. Mais la révolution produite est d’une qualité qui surpasse l’ironie. Huit heures… n’est pas du tout un ouragan juvénile en forme d’énième “Famille, je vous hais !”.
Infatigable lecteur de faits divers dans la presse de caniveau, Fassbinder raffole des genres impurs, propices par principe à métamorphoses. Première métamorphose : contrairement aux coutumes télé de l’époque, l’action ne se déroule pas dans la petite bourgeoisie ou dans les hautes sphères du miracle économique allemand mais dans une famille de prolos de Cologne, incarnée à la ville comme à l’usine par trois générations.
Deuxième métamorphose : s’infiltrer dans les clichés d’un médium populaire, le roman-photo télévisé, pour en jouir sans aucun ricanement, les faire prospérer, les exagérer même, et mine de rien, les contester. Le contre-style comme style. Autrement dit, jetés dans un chaudron diabolique : love stories plus que roses et lutte des classes plus que rouge ; désir de rébellion et volonté tout aussi désirante de soumission ; fraternité et trahison.
Filmés au ras du lino marronnasse et des bières éventées, cadrés en direct des ateliers, parfois les personnages sont des anges de beauté (Hanna Schygulla) ou de masculinité (Gottfried John) mais jamais des héros. Sévèrement critiqué à droite (propagande communiste !) comme à gauche (image fardée du prolétariat !), interrompu malgré son succès public, Huit heures ne font pas un jour remplit le programme désespérément optimiste que Fassbinder s’était imposé et qui reste d’actualité : “Montrer qu’on peut changer les choses, qu’il faut lutter.”
Huit heures ne font pas un jour de Rainer Werner Fassbinder, avec Gottfried John, Hanna Schygulla, Luise Ullrich (All., 1972-1973, 5 épisodes)
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