La journaliste la plus célèbre de Malte, Daphne Caruana Galizia, a été assassinée en octobre 2017. Trois suspects ont été arrêtés, cependant il est probable qu’ils ont suivi les ordres d’un commanditaire. Pour les journalistes du Projet Daphne, la piste politique doit être exploitée.
La journaliste maltaise Daphne Caruana Galizia est décédée en octobre 2017 dans une attentat à la voiture piégé. C’est la première fois qu’une journaliste est tuée de cette manière dans l’Union Européenne. A 53 ans, celle-ci était devenue une icône dans le pays. Elle était connue pour ses révélations sur la corruption et l’évasion fiscale à Malte. Quelques mois après sa mort, les interrogations concernant les circonstances de celle-ci taraudent toujours. A-t-elle été tuée pour être tue ? Qui a donc ordonné sa mort ?
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Le Premier ministre visé par ses articles
En 2008, elle lance son blog indépendant, Running Commentary, dans lequel elle révèle plusieurs scandales au sein de la classe politique locale. En 2016, elle publie un article mettant à mal deux proches de l’actuel Premier ministre maltais, Konrad Muscat (Parti Travailliste) : Keith Schrembi et Konrad Mizzi. Elle affirme que Keith Schrembi, le directeur du Cabinet du chef du gouvernement, possède des sociétés cachées au Panama et aux Iles Vierges britanniques.
Un an plus tard, la journaliste dévoile que la femme du Premier ministre, Michelle Muscat, serait la bénéficiaire d’une société offshore qui aurait touché plus d’un million d’euros venant d’Azerbaïdjan, comme le rapporte France Inter. Des propos démentis par le Premier ministre. L’une de ses dernières enquêtes portait sur l’industrie des passeports, dont elle dénonçait l’opacité, selon le reportage d’Envoyé Spécial sur le sujet, diffusé ce 19 avril.
Une enquête devenue internationale
Les articles de Daphne Caruana Galizia étaient lus par 300 000 personnes environ, dans un pays qui en compte 450 000. Son blog devançait les médias traditionnels du pays et avait une influence sur les débats politique. « Il est très difficile pour les médias indépendants d’offrir une perspective équilibrée et impartiale sur ce qui se passe dans le pays », déclare Caroline Muscat, journaliste et proche de Daphne, à la Cellule investigation de Radio France. Ainsi, elle était l’une des journalistes les plus célèbres de Malte.
Afin de continuer le travail de Daphne, l’organisation « Forbidden Stories » a réuni 45 journalistes d’investigation de quinze nationalités. 18 médias participent au Projet Daphne dont le New York Times, Reuters, The Guardian, Le Monde, France 2 et Radio France. L’organisme a été créé en 2017 dans le but de poursuivre les enquêtes des journalistes assassinés ou emprisonnés. Ces journalistes ont donc eu accès aux dossiers sur lesquels enquêtaient la journaliste maltaise et ont pour vocation de publier leurs résultats.
Trois hommes arrêtés, un commanditaire à trouver
« Il y a des escrocs partout où vous regardez. La situation est désespérée », écrit Daphne sur son blog. 23 minutes plus tard, sa voiture explose alors qu’elle quitte son domicile. Un attentat pour lequel les frères Alfred et George Degiorgio ainsi que Vincent Muscat – qui n’a aucun lien de parenté avec le Premier ministre – sont soupçonnés d’être les auteurs. Ils ont été arrêtés le 4 décembre 2017. Le Monde signale que ces trois hommes étaient connus pour des faits de banditisme, notamment dans des affaires d’armes à feu et de règlements de comptes.
« Je n’ai pas beaucoup d’espoir dans l’enquête policière et ma famille non plus », confesse le fils de Daphne, Matthew à Radio France. En effet, la première juge en charge de l’enquête était connue pour son hostilité envers la journaliste. Daphne l’avait auparavant critiqué dans l’un de ses articles. La famille avait engagé une procédure pour la récuser, mais la juge a fini par se démettre d’elle-même. A Malte, la majorité des magistrats sont nommés par le gouvernement, que Daphne chargeait souvent dans ses articles. La famille reste donc méfiante vis à vis de la justice.
Les trois hommes arrêtés nient avoir planifié l’attaque, cependant les enquêteurs possèdent des éléments accablants contre eux : traces ADN et vidéos de surveillance. S’il semble établi que ces trois hommes ont eu un rôle a joué dans l’affaire, il reste à trouver un mobile. Ceux-ci n’avaient a priori aucune raison de s’en prendre à la journaliste. La cellule d’investigation rapporte que tout le monde sur l’île est persuadé qu’il y avait un commanditaire.
Daphne, une « sorcière » pour le parti travailliste
Au moment de sa mort, elle faisait l’objet de 47 plaintes pour diffamation. Elle s’était fait beaucoup d’ennemis au fil de sa carrière, surtout du côté du Parti Travailliste, qui la qualifiait de « sorcière » ou de « blogueuse haineuse ». Pourtant, la piste d’un possible commanditaire n’est pas à l’ordre du jour des enquêteurs maltais. Comme le révèle la cellule d’investigation et son journaliste Sylvain Tronchet, la piste privilégiée semble être celle d’un « acte commis par une organisation criminelle sur laquelle la journaliste enquêtait ».
L’un des articles de Daphne qui avait fait beaucoup de bruits était celui concernant le ministre de l’Economie Chris Cardona. Elle affirmait que ce dernier avait été vu dans une maison close en Allemagne. Se basant sur une rumeur circulant sur l’île comme quoi le ministre connaissait les trois suspects, les journalistes d’Envoyé Spécial de France 2 et de Radio France ont cherché à vérifier les dires.
Dans un bar de la ville de Siggiewi, ils ont rencontré un client affirmant que Chris Cardona avait à plusieurs reprises rencontré Alfred Degiorgio, George Degiorgio et Vincent Muscat avant le meurtre de Daphne. Une version qu’appuie un responsable du parti d’opposition au gouvernement aux journalistes du Projet Daphne. Selon les journalistes, aucun membre du gouvernement n’a pour l’instant été entendu. La piste politique reste inexploitée pour le moment, malgré les indices déconcertants.
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