Dans son livre, “Un monstre humain ?”, l’anthropologue David Puaud s’interroge sur les raisons qui poussent un criminel à commettre un crime horrible sans mobile. Pour lui, il est important de prendre davantage en compte les trajectoires sociales pour comprendre comment un individu peut en arriver là.
“Comment cette personne dont l’humanité mais aussi la socialité et la sensibilité ne font aucun doute, peut-elle avoir commis ce crime gratuit et de manière aussi monstrueuse ?”. Cette question taraude l’anthropologue David Puaud tout au long de son livre, Un monstre humain ? (éd. La Découverte), récit d’un meurtre sans mobile et de tortures sans raison. Les juges et les médias estiment que seul un monstre peut avoir commis de telles atrocités. “Comment au XXIe siècle peut-on suggérer qu’un crime horrible puisse être l’œuvre d’un montre humain ?”, s’interroge l’auteur.
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En 2007, dans une petite ville de province a lieu un meurtre barbare. Deux jeunes ont assassiné et torturé un homme d’une quarantaine d’années, un ancien membre du groupe Béruriers Noirs. David Puaud est à l’époque éducateur de rue et connaît l’un des deux auteurs. Josué Ouvrard (le nom a été modifié), était l’un des jeunes qu’il a suivi dans le cadre de ses missions de prévention pendant plus de deux ans.
Au fil des pages, l’anthropologue tient à comprendre comment ce jeune a pu en arriver là. Mais sans jamais excuser ni expliquer ces actes. Il donne à voir le cadre urbain, social et familial, car c’est dans leur combinaison que se trouve la “disponibilité biographique du sujet violent”.
Un être “indésirable”
Pour les experts psychiatres entendus au procès, le meurtre s’expliquerait par les traits de personnalité pathogènes ou les événements traumatiques subis. Pourtant, d’autres facteurs devraient également être pris en compte selon David Puaud. Invité à témoigner au procès, il remarque qu’il n’a jamais été question du contexte social et économique du quartier où Josué a vécu.
Josué est le cinquième enfant d’une fratrie de sept, ses parents sont divorcés, sa mère est alcoolique, SDF et désocialisée. Il consomme beaucoup d’alcool et montre peu d’intérêt pour l’école. Il vit dans un quartier avec une “mauvaise fréquentation” et grandit au milieu des violences familiales. Selon son éducateur de rue de l’époque, il est considéré comme inadapté par la majorité des institutions d’aides sociales locales. Josué s’est rendu compte qu’il était devenu un “ indésirable”, un “surnuméraire”, c’est-à-dire un “individu n’ayant aucune place assignée dans la structure sociale et dans son système de positions reconnues”.
Depuis fin 2010, l’anthropologue retrace le parcours éducatif de Josué. Il reprend ses anciennes notes écrites pendant ses missions, analyse le procès, parle avec les acteurs des services sociaux ayant accompagné Josué et sa famille. “Pas pour analyser les conditions de production de la violence criminelle d’une partie de la jeunesse issue des quartiers populaires, mais avant tout pour tenter de mieux comprendre un crime resté sans mobile apparent”, précise l’auteur.
Précautionneux, il insiste également sur le fait qu’il n’est pas non plus question d’expliquer que l’homicide est lié à son histoire sociale et familiale. Son geste est le “résultat d’un processus composé de multiples éléments d’ordre psychosocial, historique, institutionnel, familial, qui en sont venus à se cristalliser dans un acte dont le mobile reste en conséquence d’autant plus flou.”
Le monstre d’aujourd’hui n’est plus lié à une difformité
Lors de la plaidoirie, David Puaud est interpellé par la « monstruosité » qui est accolée aux accusés. Une image reliée à des événements de la vie de Josué Ouvrard et de Kevin Lenôtre (nom modifié), son complice, comme pour accentuer leur amoralité et leur violence naturelle. “Pourquoi souligner avec autant de force le caractère monstrueux de ces deux criminels ? Quel rôle symbolique joue la figure du monstre dans notre société contemporaine ?”, questionne-t-il.
L’auteur rappelle qu’historiquement, la figure du monstre renvoie à l’inhumanité, c’est-à-dire “une chose qui présente une anormalité physique la renvoyant irrémédiablement en dehors de la communauté humaine.” Selon lui, la figure du monstre humain aujourd’hui n’est plus forcément liée à une difformité. “Le monstre contemporain est avant tout un monstre psychologique qui peut tuer sans mobile.”
Pour l’ancien éducateur de rue, l’instance de la cour d’assises participe à la fabrique sociale de la figure du monstre humain. Les jurés citoyens vont se fier à leur propre compréhension de la logique du crime, selon leur intime conviction, en fonction de leurs croyances. “La présence des citoyens indique que la justice est reliée avec le monde sensible. Elle témoigne du fait que l’actualité des représentations sociales est relative à une époque donnée”, indique l’anthropologue.
Prendre en compte la complexité du réseau relationnel et affectif
Les analyses des psychiatres renvoient le crime du côté de l’animalité en démontrant que l’accusé est dénué d’empathie, en expliquant qu’il est sensé mais qu’il a commis un acte fou. Les médias participent également à ce renforcement de la figure de monstre, en livrant les détails sanglants du meurtre. “Ces modèles identitaires véhiculés par l’image du monstre humain favorisent l’application a posteriori de types de gouvernance spécifique, la mise en place de dispositifs spécialisés pour telle ou telle catégorie de la population. La mise en scène esthétique des faits divers criminels distille des fantasmes latents et des peurs diffuses auprès du public”, précise David Puaud qui ajoute qu’en conséquence, le public demande à être protégé de ces menaces figurées.
En conclusion, l’auteur affirme que pour parvenir à comprendre comment quelqu’un en vient à commettre un acte violent, il faut prendre en compte “la complexité de son réseau relationnel et affectif, notamment à partir d’analyses interdisciplinaires”. De cette manière, il sera dès lors envisageable de « mener un travail de prévention sociale et éducative, d’envisager des stratégies de civilité, c’est-à-dire des pratiques de terrain mise en place par des acteurs de proximité et de favoriser ainsi une politique anti-violente”. Des mesures qui pourraient permettre de prévenir le processus de production et de reproduction de la violence.
David Puaud, Un monstre humain ?, La Découverte, 2018
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