(Après l’annonce de la mort de SOPHIE, le samedi 30 janvier, nous republions notre rencontre avec la musicienne, à l’occasion de la sortie de son premier album en 2018) – Productrice pour Madonna ou Charli XCX, Sophie invente une musique électronique hybride aussi zinzin que violente, kitsch que cotonneuse.
Sophie ? Un point d’interrogation vivant. Elle est pourtant là Sophie, assise en tailleur sur le lit de sa chambre d’hôtel parisien, avec son carré bouclé, son pull rose, son jean clair, grande tige longiligne souriante, accueillante, tirant furieusement sur sa cigarette électronique en se contemplant dans le miroir qui lui fait face comme fascinée par ce visage d’ange. L’image que nous renvoie Sophie est à la fois palpable et nébuleuse. Commençons par les présentations d’usage : Sophie est une productrice de musique électronique transgenre, originaire de Londres où elle s’est affiliée à PC Music, label et collectif artistique créé par l’un de ses amis, A. G. Cook, qui compte dans ses rangs QT, Hannah Diamond, Life Sim…
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Autant de noms qui ne diront rien à certains et tout à d’autres, comme si PC Music était une organisation à la fois connue et obscure. En 2013, Sophie sort Bipp, single qui connaît un relatif succès, puis Lemonade l’année suivante. Deux titres d’hyperpop post-tout trempés dans la confusion : fascinants et horripilants, fourmillant de sons, d’idées, d’expérimentations et aussi vides qu’un gobelet en plastique sans café, cacophoniques et portés par une voix féminine aiguë formatée. La même année, A. G. Cook présente Sophie à Charli XCX avec qui lui-même bosse. S’ensuit une collaboration intense et fructueuse, qui amène Sophie à œuvrer dans l’ombre de la pop, la vraie, celle des charts et du mainstream. Désormais installée à Los Angeles, elle est impliquée dans la prod de Bitch, I’m Madonna, tube FM complètement outrancier. Mais impossible de connaître les détails de la collaboration avec la Mado. Même chose pour Rihanna, qui avait posté sur son Instagram une photo d’elle et Sophie en studio au début de l’année.
« La musique permet de définir un nouveau monde et des idées pour lesquelles nous n’avons pas de mots »
“J’admire l’équipe de Roc Nation, le label de Rihanna. Jay Brown, le boss, essaie d’amener de vrais trucs sauvages, radicaux dans la pop. Il a dû entendre ça dans ma musique”, avance-t-elle de sa voix douce comme du coton, avant d’ajouter : “J’apprends beaucoup des collaborations. Il y a tellement de choses à apprendre sur la musique. Ça prendrait dix vies pour la maîtriser. Ce n’est pas un but atteignable pour la plupart des gens, moi inclue. L’art de fabriquer un morceau, de comprendre l’ingénierie sonore, la composition, le jeu entre les paroles et la musique est peut-être encore plus dur que d’apprendre à se connecter aux gens.” Si Sophie n’aime pas rentrer dans les détails matériels, elle parle avec une émotion perceptible de la création musicale, préférant l’évanescence à la trivialité du réel. “La musique peut dire des choses que le langage ne peut pas exprimer. Je crois que j’ai découvert ça intuitivement. Tout acte est politique mais la musique ne devrait pas l’être ouvertement car je trouve le langage politique limité. La musique peut dire des choses plus contrastées, plus honnêtes. Ça permet de définir un nouveau monde et des idées pour lesquelles nous n’avons pas de mots.”
Le vrai moment de bascule s’est produit en octobre 2017, quand le clip It’s Okay to Cry a atterri dans notre champ de vision. Une explosion de liberté assez incroyable incarnée par une Sophie torse nu, dansant et chantant sur fond de ciel. Un truc hybride, entre le premier degré et la kitscherie internet. Ça tombe bien, Sophie rejette la binarité et déplore la scission mainstream/underground. “Le mainstream peut être expérimental et sauvage et l’underground pop et optimiste.”
« Maintenant, c’est avec un ordi qu’on fait la musique la plus forte »
Traînée dans les raves anglaises par son père dès l’âge de 9 ans (“je n’ai pas envie de parler de lui”, nous arrêtera-t-elle), Sophie s’est toujours sentie ultraconnectée à la musique électronique, n’a jamais adhéré au rock. “Avant, le rock était la musique la plus bruyante que l’on pouvait faire. Le punk criait pour se faire entendre. Maintenant, c’est avec un ordi qu’on fait la musique la plus forte. Or si tu es musicien, tu as envie d’avoir les outils les plus puissants pour produire la musique la plus impactante possible parce que tu veux communiquer avec les gens.” Sophie rêve de produire une musique qui sonnerait comme un grand huit. “Ça ne dure pas plus de trois, quatre minutes pendant lesquelles tu ne penses à rien parce que tu n’en as pas le temps. Ça parle directement à ton corps, c’est viscéral.”
De même qu’il est difficile d’enchaîner deux tours de manège, il est ardu de se farcir plusieurs titres de Sophie à la suite. Si bien qu’on peut raisonnablement se demander si le projet de cette fan d’Autechre et des Pet Shop Boys est digne d’intérêt. Ou s’il ne s’agit que d’un chewing-gum tout rose dont le parfum s’évanouirait au bout de quelques mastiquages. D’instinct, disons que l’on penche pour la première option et que l’on attend confirmation avec son futur album, Whole New World.
{"type":"Banniere-Basse"}