Disparition à 86 ans du grand Milos Forman, fer de lance de la nouvelle vague tchèque, maverick du cinéma européen, qui exporta son esprit satirique à Hollywood, où il incarna l’esprit de transgression.
Le plus important cinéaste tchèque, Milos Forman, s’est éteint le 13 avril à l’âge de 86 ans. Il y a un demi-siècle, en 1968, grande année de révoltes et de bouleversements dans le monde, Forman avait 36 ans et il allait bientôt quitter (définitivement) son pays, après y avoir instillé une grosse dose de subversion avec ses trois premiers films : L’As de pique, Les Amours d’une blonde et Au feu, les pompiers ! Leader de ce qu’on a rétrospectivement nommé la “nouvelle vague tchèque”, il n’a cessé de ruer dans les brancards de la société communiste. Son esprit satirique est indissociable de la comédie, y compris dans ses œuvres les plus noires. C’est flagrant dès ses premiers films qui dépeignent les dysfonctionnements de la société du monde communiste et, par extension, la progression de l’individualisme et de l’esprit de sédition dans un monde enrégimenté. Si cela reste encore relativement bénin dans ses deux premiers films (quoique), l’impact du troisième, Au feu, les pompiers !, peut se résumer à son titre.
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L’esprit de 68, version tchèque
En filmant, en 1967, un engrenage loufoque du désordre autour d’un bal de pompiers de province, Forman prélude à la déflagration politique qui allait gagner son pays l’année suivante, et qu’on allait nommer Printemps de Prague. Une mini-révolution tuée dans l’œuf, après quelques mois d’euphorie, par le “grand frère” soviétique et après laquelle le film, qui avait déjà été mal reçu par les autorités à sa sortie fin 1967, fut définitivement interdit. Ce retour de bâton politique aura une conséquence assez logique : Forman quitte la Tchécoslovaquie pour les Etats Unis où le titre de son premier film américain est également très parlant : Taking off. C’est à dire “La Fuite” (ou “Le Décollage”). Suite à quoi, le cinéaste mènera une carrière américaine très satisfaisante en réalisant souvent des films en costumes à gros budget (Amadeus, Les Fantômes de Goya, Valmont), dont certains récompensés par des Oscars, mais sans jamais se départir de son impertinence coutumière.
La folie comme arme politique
En démarrant cette deuxième vie en Amérique, Forman est loin d’adhérer aux valeurs consensuelles de ce pays. Là aussi, toujours irréductible, il n’a de cesse de décrire (et décrier) diverses formes d’oppression (Vol au-dessus d’un nid de coucou, Les Fantômes de Goya), ou bien il met en scène des provocateurs (comme Andy Kaufman, Larry Flynt, Mozart) dans des biopics hors-norme. Son travail restera donc de bout en bout politique, mais sans étiquette (“non aligné” comme on disait dans les sixties). Parmi ses plus grandes réussites, outre sa brillante trilogie tchèque (et une flopée de courts métrages), on peut citer Vol au-dessus d’un nid de coucou, son œuvre la plus célèbre, qui, malgré quelques légers éclats mélodramatiques, peut être classé, avec Shock corridor de Fuller, parmi les grands films sur l’enfer psychiatrique ; et dans quasiment le même registre, on retient Man on the Moon, à notre sens son chef d’œuvre, sur la vie du plus dérangeant des comiques américains, Andy Kaufman, incarné par le très extrême Jim Carrey. Une conjonction unique dans la carrière de Forman, qui, s’il œuvra souvent dans un contexte confortable, ne baissa jamais la garde et n’eût jamais à rougir de son travail. Après avoir fui les rigueurs du communisme, Forman a montré à Hollywood la voie de la transgression. Un cinéaste engagé dans le meilleur sens du terme.
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