Dans une enquête publiée ce jeudi 12 avril, la chercheuse Hélène Le Bail révèle comment la diminution du nombre de clients pousse les travailleur.se.s du sexe à accepter des tarifs plus bas, et à prendre davantage de risques.
Violences, rapports non protégés, précarisation… Deux ans après le vote de la loi sur la pénalisation des clients des travailleur.se.s du sexe, l’ONG Médecins du Monde publie une enquête sur les impacts de cette nouvelle législation sur la santé, les droits et les conditions de vie des travailleur.se.s du sexe. Dirigé par Hélène Le Bail, chercheuse au CNRS et au Centre de recherches internationales de Sciences Po (CERI), un comité de pilotage composé de 12 associations a mené depuis 2016 une enquête qualitative et quantitative de grande ampleur.
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[En bref]
Consultez la synthèse de notre enquête sur l'impact de la loi du 13 avril 2016 contre le "système prostitutionnel' :
▶️https://t.co/8FRZDPAas6#LoiProstitution #supportsexworkers pic.twitter.com/Yu61VUsH8J— Médecins du Monde (@MdM_France) April 12, 2018
« Avant, je n’acceptais pas 10 euros »
Près de 583 travailleur.se.s du sexe ont été interrogées, et 70 entretiens longs ont été réalisés, et 38 personnes ont été consultées via des focus groupes, dans sept départements différents. Dévoilés lors d’une conférence de presse ce jeudi 12 avril au matin, les résultats sont accablants. « La loi sur la prostitution bafoue les droits fondamentaux au quotidien », insiste en préambule la présidente de l’ONG, Françoise Sivignon. Bien avant le vote de la loi, déjà, ces associations – Médecins du monde, les Amis du bus des femmes, le planning familial, le Syndicat des travailleurs du sexe (Strass) – avaient alerté sur les conséquences de la loi de pénalisation des clients.
Selon l’étude 78 % des personnes interrogées « sont confronté.e.s à une baisse de leurs revenus », 42 % « sont plus exposé.e.s aux violences depuis l’adoption de la loi”, et 38 % « rencontrent plus de difficultés à imposer le port du préservatif ». Une précarité accentuée qui conduit parfois à une perte du logement, ou des difficultés à se nourrir. C’est d’ailleurs le but de la loi : faire pression sur les travailleur.se.s en décourageant la demande. « Il demande : ‘Combien c’est ?’ Je lui dis ’30 euros’. Il me dit : ‘Ah non, je n’ai que 10 euros. Moi, avant, je n’acceptais pas 10 euros. Mais maintenant, je l’accepte », raconte par exemple Yacine dans l’enquête. Certaines sont aussi obligées de faire beaucoup plus d’heures pour tenter de combler ce manque à gagner.
Une épidémie silencieuse ?
Les potentiels clients visés par une amende dont le montant peut aller jusqu’à 1 500 euros, sont beaucoup moins nombreux depuis avril 2016, et de fait les travailleur.se.s du sexe prennent davantage de risques en acceptant par exemple des clients qu’ils ou elles n’acceptaient pas d’habitude, ou bien en acceptent les rapports non protégés. « Ce n’était pas comme ça avant. Maintenant, pour la fellation, c’est quasi impossible que le client accepte de faire avec un préservatif », témoigne Amanda. « Quand on voit que c’est de plus en plus difficile d’imposer la capote, on se dit qu’une épidémie peut se développer silencieusement », s’insurge Thierry Schaffauser, membre du Strass. « Je préférais la loi précédente sur le racolage. Au moins avec cette loi, je savais que les bons clients, qui payent bien et qui sont respectueux n’ont pas peur, maintenant je dois les supplier tout le temps », explique Aurora.
D’après l’enquête, 70 % des personnes interrogées « constatent que leur relation avec la police ne s’est pas améliorée voire s’est détériorée » malgré l’abrogation du délit de racolage. Beaucoup d’entre elles se sentent régulièrement menacées par la police, soit à cause des arrêtés municipaux pris dans leur ville, soit à cause des opérations de contrôles d’identités qui font qu’elles « restent plus souvent pénalisées ou arrêtées que les clients ».
Quant au parcours de sortie mis en place par la loi du 13 avril 2016, seules 39 % « des travailleur.s.es du sexe connaissent l’existence du parcours de sortie de prostitution ». Et le constat est sans appel : le dispositif « ne répond pas aux besoins de la plupart des personnes ». En cause, des conditions d’accès très strictes et des modalités peu attractives (une indemnité de 330 euros par mois). Au total seules une quarantaine de procédures ont été lancées. Des dossiers ont même parfois été rejetés à cause du manque de délivrance de titres de séjours. « Il n’est pas trop tard pour agir », concluent alors les auteur.e.s « Nos associations exhortent les décideurs-euses politiques à se saisir du sujet et à revenir sur ces dispositions législatives inadaptées. » Une manifestation contre la loi est prévue ce samedi 14 avril, à Paris.
Bonjour à ToutEs
Pour rappel, pour les 2 ans de la loi de pénalisation des clients, une grande manifestation des travailleurSEs du sexe et alliéEs aura lieu ce samedi 14 avril à Paris, départ place pigalle… https://t.co/ozrEiQPtc4
— ACCEPTESS-T (@acceptesst) April 10, 2018
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