La quatrième édition de DO DISTURB au Palais de Tokyo reflète les nouvelles tendances performatives à l’œuvre dans le monde et s’empare des débats qui agitent la société. Rencontre avec Vittoria Matarrese, Fondatrice et commissaire générale.
Quelles ont été vos envies pour cette nouvelle édition de DO DISTURB par rapport aux années précédentes ?
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Vittoria Matarrese – Je n’ai jamais au départ d’envie particulière avec Do Disturb ou alors plein d’envies qui vont dans des directions très différentes. Ensuite, au fur et à mesure de ce que je découvre durant l’année, des tendances se dessinent : des traits communs qui traversent plusieurs projets dans le monde. Cette année, certains fils se dégagent, notamment un fort engagement sur la question des femmes. Beaucoup de projets sont très engagés politiquement, et même assez subversifs – il est rare d’en avoir autant.
Cet intérêt commun est-il lié aux débats qui traversent nos sociétés depuis plusieurs mois, notamment autour du mouvement #metoo ?
Ces performances ne sont pas liées directement à des actes de violence personnels donc cela vient plutôt de questions générales liées à la condition féminine et d’abus historiques. Gabrielle Goliath, qui vient d’Afrique du Sud, évoque le viol, l’apartheid, et la manière dont les femmes ont été abusées durant des années dans cette société blanche et machiste. Fatima Al-Banawi, qui vient pour sa part d’Arabie Saoudite, questionne l’amour et la liberté dans son pays. Idem pour le projet de Kubra Khademi, originaire d’Afghanistan, où se lit également une évocation de la conception de la femme dans toute la société. Si les projets dépassent le cadre de #metoo, cela a peut-être facilité l’envie, le courage de s’engager. Car il faut souvent une sacrée dose de courage pour faire ce que les artistes proposent ici.
DO DISTURB est un programme court, un ovni dans le paysage de l’art et du spectacle vivant. Est-ce que ce cadre facilite l’accueil des projets engagés ?
Personnellement, je ne peux pas ne pas m’engager. Il me serait difficile de laisser à l’écart ces projets au nom de l’idée qu’il faudrait valoriser seulement le divertissement. Je suis extrêmement sensible à toutes ces questions ; à la manière dont les artistes nous parlent de cela. Les artistes sont les éclaireurs de nos sociétés, avec les poètes, les penseurs, les philosophes. Et le mélange entre des projets engagés et d’autres plus légers, drôles ou poétiques, rend DO DISTURB unique en son genre.
DO DISTURB est-il reconnu comme un label dans le monde artistique ?
Je l’espère en tout cas ! La première année, j’ai eu beaucoup de mal à convaincre les artistes de venir ! Aujourd’hui, DO DISTURB est reconnu partout. Il n’y a pas d’autres festivals de ce genre, qui jouent sur la synchronicité, sur un moment de concentration très fort, et sur une palette aussi large de présentation en termes de pays et de pratiques. Nous jouons un rôle important dans les formes de “néosémie” : plus encore que la polysémie, ce sont de nouvelles formes d’écriture qui surgissent ici.
Ces nouvelles formes d’écriture au sein de la performance, quelles sont-elles ?
Le champ disciplinaire s’est ouvert, et cette transdisciplinarité passe souvent par la performance. C’est là que cela devient intéressant : un plasticien peut devenir danseur ; un chorégraphe se mettre à écrire… Aujourd’hui, le monde de l’art commence à accompagner ce genre de projets transdisciplinaires. Cela tient souvent à des initiatives individuelles : au Théâtre des Amandiers à Nanterre, Philippe Quesne fait un travail extraordinaire de mise en avant de formats différents ; au Palais de Tokyo, nous y œuvrons depuis des années ; à l’Opéra, Benjamin Millepied l’a fait également. Mais un réseau de diffusion et de mise en avant de ces nouvelles pratiques n’existe pas encore. Ces expérimentations ne sont possibles que s’il existe des fenêtres comme celles qu’on ouvre avec DO DISTURB.
Le genre de la performance est-il bien enseigné dans les écoles d’art en France ?
La France s’ouvre au genre. Les écoles commencent à intégrer qu’il s’agit d’un moyen d’expression très intéressant pour les étudiants, parce qu’extrêmement réactif au contexte social et très dynamique. Le moyen le plus simple et rapide pour un artiste de réagir à un événement, c’est clairement la performance. Par rapport à d’autres pays, la France reste en retard vis-à-vis de la place accordée à ces pratiques. C’est pour cela que parmi les institutions que nous invitons cette année, nous avons voulu dresser une carte de nouveaux lieux comme Los Angeles ou l’Afrique du Sud, à côté de ceux qui ont depuis toujours été liés à cette scène performative – comme São Paulo ou Londres, foyer constant et source incroyable. Ces prises de parole et d’espace public sont plus rattachées à une tradition anglo-saxonne.
Vous avez déjà songé à inviter DO DISTURB ailleurs ?
DO DISTURB a été invité un peu partout mais techniquement, c’est très compliqué à réaliser. En revanche, de plus en plus d’institutions reprennent à leur manière le concept, en proposant de la synchronicité et une palette très variée de pratiques. Le message adressé aux publics qui ne seraient pas familiers de DO DISTURB étant le suivant : venez pour vous faire plaisir
et dans un esprit de découverte. Parmi la multitude des projets et des manières de s’exprimer, impossible de ne rien trouver qui nous plaise, nous interroge ou stimule notre curiosité. L’idée est vraiment celle d’une ouverture maximale.
Propos recueillis par Jean-Marie Durand et Ingrid Luquet-Gad
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