José Antonio Abreu, le fondateur d' »El Sistema », programme d’éducation musicale destiné prioritairement aux enfants des classes défavorisées au Venezuela, est décédé samedi 24 mars dernier. Plusieurs de ses anciens élèves prolongent leur cursus musical en France aujourd’hui. Ils nous racontent comment ce programme a complètement changé leur destin, et celui de tout le pays.
Musicien compositeur, économiste et homme politique, José Antonio Abreu a marqué toute une génération. En 1975, il lance le chantier d’un projet qu’il qualifie lui même d’utopique : El Sistema, un programme d’éducation musicale, qui a pour objectif de démocratiser l’accès à la musique pour les enfants issus de milieux défavorisés. Mission accomplie : « Aujourd’hui, les 900 000 enfants qui bénéficient du programme El Sistema [dont 75% sont issus de milieux défavorisés, NDLR] sont encadrés par quelque 10 000 enseignants dans plus de 1 500 orchestres répartis dans tout le Venezuela », rapporte France Musique.
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Certains intègrent les centres de formation musicale – appelés localement núcleos – dès l’âge de 4 ans. Entre pratique orchestrale, cours individuels et cours de solfège, les élèves bénéficient gratuitement d’une vingtaine d’heures d’enseignement par semaine. Cerise sur le gâteau : depuis 2007, El Sistema met gratuitement à disposition des apprentis l’instrument de musique de leur choix.
A Paris comme en province, plusieurs jeunes Vénézuéliens ayant bénéficié d’El Sistema prolongent leur formation musicale. Certains ont également eu l’occasion de rencontrer ou de côtoyer de près celui qui a « changé le destin de leur vie« , selon leur propre formule. Nous vous dressons le portrait de trois d’entre eux.
Lorena Rodriguez (28 ans, percussionniste)
Lorena a dû attendre ses 10 ans pour intégrer un núcleo – ce qui est au-dessus de la moyenne d’âge des enfants débutants. La jeune percussionniste explique : « Je suis issue d’une famille modeste du côté ouest de Caracas. Mes parents ne prêtaient pas particulièrement attention à la musique et sous-estimaient ses bienfaits. C’est grâce à une amie de la famille que j’ai pu rejoindre un ‘núcleo’ du quartier. Par contre, du côté est de la capitale, où on trouve une classe moyenne assez aisée, les enfants ont souvent l’occasion d’intégrer El Sistema à un âge plus précoce. »
Pendant toute la conversation, Lorena ne prononce pas le nom du défunt. Elle l’appelle affectueusement el Maestro. « C’est en 2010 que je lui ai parlé pour la première fois. Notre orchestre traversait à l’époque une crise profonde. Nous manquions du personnel. C’est ‘el Maestro’ en personne qui est venu à notre secours« , s’enthousiasme la jeune musicienne.
Atteinte d’une déficience visuelle, Lorena lit parfois ses partitions à l’aide d’une loupe, mais le plus souvent, les apprend par cœur. Un talent et une persévérance qui ne passent pas inaperçus pour el Maestro. Lorena fait sa connaissance en 2010. « El maestro m’a remarqué lors d’une répétition, il est venu m’encourager à la fin. Il portait souvent attention à moi, venait me demander si je manquais de quelque chose, si j’avais besoin d’aide, etc. Grâce à lui, j’ai bénéficié de lunettes et de loupes gratuitement. Elles coûtent cher au Venezuela« , reconnaît-elle.
Il est 9h25. Lorena nous avait prévenu, avant l’interview, qu’elle avait cours au conservatoire à 9h30. On lui propose donc de clore notre entretien. Un peu hésitante, Lorena semble avoir quelque chose à ajouter. « On doit tous énormément à notre maestro. Dès mon plus jeune âge, les médecins s’accordaient pour dire à ma famille que je ne pouvais pas avoir une vie autonome à cause de mon handicap. Je m’enfonçais dans le désespoir. Mais El Sistema m’a ouvert des horizons inimaginables. Ce que je veux dire, c’est que, par-delà l’aspect musical des choses, El Sistema a bouleversé ma vie, a formé ma personnalité. Avant, je ne sortais pas de chez moi. D’autant plus que j’habitais dans un quartier difficile, et les médecins insistaient auprès de ma famille pour que je ne sorte pas seule. Grâce à el Sistema, et aussi grâce à el Maestro personnellement, aujourd’hui non seulement j’arrive à sortir de chez moi, mais je me trouve à Paris, je fais des voyages partout avec mon orchestre. C’est incroyable », se confie-t-elle.
Nestor Alvarez (21 ans, flûtiste)
Etudiant à la Haute École des arts du Rhin, Nestor a intégré un núcleo de province. « A Barquisimeto [une ville située à 272 km de la capitale, NDLR], les conditions sont encore plus difficiles qu’à Caracas. Mais dès 8 ans, j’ai pu intégrer el Sistema. » se souvient-il.
L’importance et l’utilité d’el Sistema deviennent plus tangibles quand on sait que les horaires scolaires au Venezuela s’organisent sur une demi-journée. « En général, du primaire au lycée, nous n’avons cours qu’une demi-journée. Livrés à eux-même le reste du temps, les enfants des quartiers difficiles peuvent facilement sombrer dans la consommation de la drogue entre autres« , analyse-t-il. El Sistema permet ainsi à des enfants de quartiers défavorisés d’échapper aux rets de la consommation de la drogue et de la délinquance.
De José Antonio Abreu, Alvarez garde l’image d’un homme méticuleux et plein d’énergie. « Nous répétions parfois de 8 h à 22 h. Abreu tenait le rythme malgré son âge. Il était septuagénaire. C’était très impressionnant à voir« , confie le flûtiste.
Alexis Cardenas (42 ans, violoniste)
« Une heure avec José Antonio Abreu vaut, à mes yeux, plus que 5 ans au conservatoire ».
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