Au fil d’une conversation WhatsApp, le jeu pour mobile « Enterre-moi, mon amour » suit l’exil de Nour, une jeune syrienne en route pour l’Allemagne. Dans cette fiction interactive, le joueur incarne Majd, compagnon de Nour resté à Homs qui la conseille sur son trajet, influant sur l’issue du périple. Basé sur des faits réels, ce jeu vidéo captivant offre avec justesse un autre regard, plus humain, sur la crise des réfugiés.
Nour est une infirmière syrienne de 27 ans ans vivant à Homs. En septembre 2015, un énième bombardement emporte sa soeur jumelle. C’en est trop : Nour décide de fuir la guerre civile. Six mois plus tard, elle quitte sa ville natale et son mari Majd, direction l’Europe. Si tout va bien, son périple s’achèvera une dizaine de jours plus tard en Allemagne. Mais il peut tout aussi bien finir plus brutalement dans une prison croate ou turque. Cela ne tient qu’à vous. Car en réalité, Nour n’existe pas.
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Ce personnage de fiction, inventé par Florent Maurin et écrit par Pierre Corbinais, est l’héroïne du jeu vidéo pour smartphone « Enterre-moi, mon amour », co-produit par Arte France, The Pixel Hunt et Figs. Dans ce jeu, qui prend la forme d’un fil de conversation WhatsApp entre Nour et son mari, vous incarnez Majd, resté auprès de sa famille en Syrie. Votre rôle : conseiller Nour tout au long de son exil, et donc influencer ses choix et son trajet, pour aboutir à dix-neuf fins différentes imaginées par les créateurs.
Une fiction immersive inspirée de faits réels
Le titre, « Enterre-moi, mon amour », est tiré d’une expression du monde arabe qui signifie, en guise d’adieux, « prends soin de toi ». L’histoire de Nour est celle de millions de Syriens passés par les différentes routes migratoires pour fuir leur pays en guerre. « 90% de ce qui arrive à Nour dans son périple ou plutôt dans ses périples, provient d’infos tirées de centaines d’articles lus, des témoignages de migrants, de journalistes ou d’ONG. Ce sont des choses qui sont arrivées à Idomeni, à Izmir ou à Ganziantep et qu’on a réinjectées dans le jeu« , détaille Florent Maurin, fondateur de The Pixel Hunt, une société de production spécialisée en newsgame, ou jeux du réel.
La genèse du projet remonte à l’automne 2015. C’est en lisant un article de la journaliste du Monde Lucie Soullier, « Le voyage d’une migrante syrienne à travers son fil WhatsApp« , que Florent Maurin a l’idée d’adapter en jeu vidéo ce récit de migration sur smartphone: « Cet article m’a beaucoup ému parce que WhatsApp, c’est une application que j’utilise très régulièrement. Sauf que moi, j’y échange des photos de chatons plutôt que des questions de vie ou de mort. »
« On ne voulait pas être dans le cliché du ‘Syrien de service’ »
Florent Maurin a construit une carte des différentes routes empruntées par les migrants, inspirée de travaux de chercheurs, et identifié cinquante lieux de passage, qui forment les étapes des différents parcours possibles de Nour. Chaque ligne du jeu a été validée par Lucie Soullier et Dana, une réfugiée syrienne vivant en Allemagne qui a témoigné pour Le Monde, afin d’écarter toute invraisemblance : « On ne voulait pas être dans le cliché du ‘Syrien de service’ ni dans l’exotisme. Notamment parce que lorsqu’on a lu l’article du Monde, ce qui nous a marqué, c’est la proximité entre la modernité de Dana et la nôtre« , défend Florent Maurin. En tout, huit mois d’écriture et plus de 100 000 mots – soit autant que Madame Bovary – seront nécessaires pour composer le corps du jeu immersif, le dialogue entre Nour et Majd, où s’entremêlent l’exil et l’amour de ce couple séparé par la guerre.
C’est sur ce dernier aspect que la fiction intervient : « J’ai l’impression que c’est une histoire d’amour, avant même d’être une histoire d’exil, même si, évidement, ce n’est pas ce qui ressort de l’extérieur« , estime Pierre Corbinais, dialoguiste chargé d’écrire le jeu vidéo. Car si le joueur est confronté à des choix décisifs dans le parcours de Nour, le dialogue est ponctué de paroles banales, quotidiennes et universelles, de blagues et mots doux amoureux.
Un récit de l’exil par l’intime d’une grande justesse
La grande réussite d’ « Enterre-moi, mon amour » tient à la simplicité et la justesse de ce récit de l’exil par l’intime. Sans fausse note, les échanges entre Nour et Majd nous embarquent dès les premiers instants dans ce périple hors du commun. L’aventure, captivante, se déroule en pseudo-temps réel, espaçant les échanges de message selon les péripéties de Nour. La force du récit est soutenue par une navigation intuitive et un graphisme très soigné.
Grâce à la rigueur et la précision des informations distillées, le jeu nous renvoie constamment aux images médiatiques qui ont marqué la crise des réfugiés : bateaux pneumatiques fragiles sur la mer Méditerranée, horde de réfugiés traversant une frontière, campements boueux… De ces clichés imprimés dans la mémoire collective, « Enterre-moi, mon amour » offre une nouvelle lecture personnelle qui réhumanise les migrants et tend vers l’universel. « Tout le monde n’est pas forcément confortable avec l’idée de faire un jeu sur un sujet comme ça mais il faut sortir de la définition classique du jeu comme divertissement. On s’adresse à un public d’adultes pour leur dire : on va te proposer une histoire qui va continuer à t’accompagner et de faire réfléchir un certain temps », conclut Florent Maurin.
Enterre-moi, mon amour est disponible en français, anglais, allemand, espagnol et italien depuis le 26 octobre sur l’App Store et Google Play (3,49 €). Un prologue gratuit est à retrouver sur le site d’Arte.
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