La dérive d’une mère et son fils dans les bas-côtés du nord de l’Amérique. Un road-movie frenchy d’une grande liberté.
Les Français attaquent l’Amérique ? Pas exactement, mais on remarque que d’intéressants films français ont récemment été tournés aux Etats-Unis et au Canada. Comme Ghostland ou les docs We Blew It, The Ride et bientôt Southern Belle. Quant à Mobile Homes, il a été montré à la Quinzaine des réalisateurs à Cannes, en 2017 – où quelques organes de presse américains ont un peu taclé le Frenchy. Pourtant, Vladimir de Fontenay ne vient pas de débarquer chez l’oncle Sam. Il a 30 ans et il traîne ses guêtres chez les indies yankees depuis quelques lustres. Après avoir commencé à étudier le cinéma en Italie, il a poursuivi aux Etats-Unis grâce à un échange, plus exactement à la New York University. Puis il a passé un master à la Tisch School of the Arts, avec des profs tels que Spike Lee, Todd Solondz ou Lodge Kerrigan. Il a ensuite tourné un court métrage, déjà intitulé Mobile Homes (2013), brouillon de ce long métrage. Non sans avoir auparavant coréalisé un premier long (inédit en France), Memoria, interprété par James Franco.
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L’idée de Mobile Homes lui est venue sur une autoroute, en voyant une maison préfabriquée posée sur un camion-remorque. Vision surréelle qui lui a inspiré l’histoire très actuelle d’Ali, jeune femme à la dérive (incarnée par la saisissante Imogen Poots, pugnace actrice british) et de Bone, son fils de 8 ans, qui vivotent de rapines et de combats de coqs avec un zonard, Evan. Souvent filmé avec une caméra agitée, constamment en mouvement à l’instar des personnages, Mobile Homes traite accessoirement de l’enfance chaotique, sans excès lacrymaux, et évidemment de la marginalité dans tous ses états.
En fait, tout le film pourrait se résumer à son titre. La “maison mobile” symbolise le nomadisme des personnages, mais c’est aussi un objet tangible : une maison préfabriquée que vont squatter les personnages au cours de leur errance, avant qu’elle ne soit transportée sur une remorque à leur insu, et que le trio n’atterrisse dans un bled perdu au fin fond du Canada.
On pourrait se demander pourquoi les héros asociaux de l’Amérique profonde intéressent tant un Français. Peut-être par nostalgie pour le cinéma de l’errance des années 1970 (L’Epouvantail de Jerry Schatzberg), ou bien par osmose avec le nouveau cinéma indépendant new-yorkais (le déchirant Mad Love in New York des Safdie).
Ce qui fait l’intérêt du film en tout cas, c’est le regard de de Fontenay sur l’Amérique ; avant tout comme territoire, comme lieu de perdition absolue et d’anonymat, mais aussi comme pays du rêve en toc où une maison préfabriquée, un home sweet home clés en main, peut représenter l’idéal du confort familial. Un simulacre de bonheur.
Autre aspect essentiel, la mobilité du film, évidemment, exprimée par le style de filmage, ainsi que par l’incessant renouvellement des paysages urbains et naturels – pour la plupart banals et indifférents (on est loin de la fascination iconolâtre à la Wenders). Le type de désolation qu’en général le cinéma mainstream évite, car justement il n’y a “rien à voir”. La vastitude et le caractère presque informe des arrière-plans soulignent l’inexorable déréliction des personnages qui ne trouveront une forme d’ancrage social que lors d’un bref épisode.
Pourtant, le film reste émotionnellement tenu et tendu de bout en bout. Exemple de séquence récurrente qui insuffle un suspense torride : le compte à rebours intérieur de l’enfant chargé de s’éclipser en douce du restaurant d’où sa mère et son copain sont sortis sans payer. On se prend à compter mentalement les secondes avec l’enfant… Idem pour la folle poursuite automobile où Ali, ayant volé l’énorme convoi du mobile-home arrimé sur sa remorque, est coursée par le proprio. Un type de poursuite inédit au cinéma, pour le coup spectaculaire, que de Fontenay maîtrise idéalement.
On pourrait aussi ajouter à l’actif de cette œuvre assez discrète, dont le vrai principe est l’incertitude, une superbe scène finale, émouvante mais pas larmoyante. En plongeant dans le réel, Mobile Homes ouvre l’éventail des possibles et des situations du cinéma américain.
Mobile Homes de Vladimir de Fontenay, avec Imogen Poots, Callum Turner, Callum Keith Rennie, Frank Oulton (Can., Fr., 2017, 1 h 46)
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