Un beau portrait de groupe de différentes initiatives de viticulteurs pour résister à la mondialisation.
Redisons-le haut et fort : Dominique Marchais est l’un de nos meilleurs cinéastes de documentaires, un héritier de Claude Lanzmann ou de cinéastes de fiction comme les Straub, ou Ford. Dans les traces de ses glorieux aînés, son art réside dans le lien subtilement établi entre un territoire et les hommes qui l’habitent, comment l’un agit sur eux et vice versa.
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Partant, Marchais est aussi un grand cinéaste politique. Après avoir réfléchi l’agriculture dans Le Temps des grâces, puis la question de l’eau et des sols dans La Ligne de partage des eaux, le cinéaste promeneur a quitté cette fois la France pour aller voir en divers coins de l’Europe (Sicile, Autriche, Suisse) comment les gens imaginent des réponses concrètes aux défis posés par le rouleau compresseur vorace du libéralisme. Tout part de la fresque du Bon et du Mauvais Gouvernement (Ambrogio Lorenzetti, 1338) peinte sur les murs de l’hôtel de ville de Sienne. Cette œuvre sublime par son style et son contenu est la boussole du film en ce qu’elle pose un regard sur la relation ville/campagne, prouvant que les questions d’intérêt général et de développement durable existaient déjà au XIVe siècle.
Dans l’esprit de Lorenzetti, Marchais rencontre des cultivateurs siciliens réunis en coopérative pour résister aux avancées de l’industrie agroalimentaire et de ses zones commerciales qui mangent les champs centenaires. Dans les Grisons ou le Vorarlberg, ce sont des projets architecturaux écologiques et locaux qui posent la question des bons usages de dépenses publiques et de l’emploi. Marchais fait parler architectes, paysans, fonctionnaires, maires, en les inscrivant dans leur contexte professionnel, alternant ces rencontres avec des plans larges et travellings langoureux sur les paysages concernés, leurs transformations visibles, leur dialogue plus ou moins conflictuel ou harmonieux entre nature et intervention humaine.
A côté de tous les discours anxiogènes sur la mondialisation et sur l’impuissance des Etats et des politiques, Nul homme n’est une île apporte une note d’espoir mesurée. Marchais filme une Europe qui n’est pas celle de Bruxelles mais celle d’initiatives locales intelligentes, écologiques, de “bon gouvernement”. Ces exemples pourraient sembler dérisoires mais si le citoyen veut avoir une chance de peser sur son avenir collectif, c’est bien en ces endroits-là que ça peut se passer. Car nul homme n’est une île, et ce film pourrait ajouter que les gouttes d’eau forment parfois des océans.
Nul homme n’est une île de Dominique Marchais (Fr., 2017, 1 h 36)
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