Le metteur en scène allemand confie l‘œuvre d’Heinrich de Müller à de jeunes acteurs boliviens. Une interrogation hallucinée sur le devenir des révolutions.
Mettre en péril l’équilibre de l’acteur pour questionner le jeu est un préalable pour Matthias Langhoff. Plié en tous sens et pareil à une houle troublée d’écume, le plateau dédié à La Mission d’Heiner Müller n’échappe pas à cette règle. Avec ses toiles peintes accrochées au vent comme des fortunes de mer, ce pont à la gîte inquiétante est un capharnaüm où s’improvise un empilement de cercueils de bois en guise de tribune.
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On ne s’étonne pas de trouver la régie et des techniciens sur scène ; à leurs côtés, la cantinière et sa gamelle fumante d’une soupe populaire à partager avec le public à l’issue du spectacle.
Berlinois de l’Est, Heiner Müller se réclame, dans La Mission (1980), d’une déraison garante de sa lucidité. Réunissant un jeu de massacre historique et une énigme délirante, sa plume est hallucinée. Naissent des visions surréalistes qu’il superpose comme autant de calques mémoriels. La pièce saute d’une époque à l’autre, d’un rendez-vous raté de la Révolution française au cauchemar contemporain d’un cadre coincé dans un ascenseur.
Chute du Mur et bicentenaire de la Révolution française
L’histoire du XVIIIe siècle nous embarque vers la Jamaïque, sur les traces d’un trio de pieds nickelés tragiques requis pour libérer l’île de l’esclavagisme. Un gouvernement pouvant en cacher un autre pour qui l’égalité des droits entre humains n’est plus une priorité, la mission de Galloudec, Sasportas et Debuisson tombe à l’eau.
Dans le récit du XXe siècle, l’employé ne rate pas seulement son rendez-vous avec celui qu’en pensée il nomme “Numéro un”. Quand les portes de l’ascenseur s’ouvrent, c’est sur les ruelles d’un village au fin fond du Pérou. Le voici libre aux antipodes, sans la moindre idée de sa mission.
En 1989, la chute du mur de Berlin coïncide avec le bicentenaire de la Révolution française quand Matthias Langhoff monte pour la première fois La Mission (en l’associant Au perroquet vert d’Arthur Schnitzler). Le spectacle actuel a été créé en 2016 avec la troupe Amassunu issue de l’Ecole nationale de théâtre de Bolivie.
Allemand et espagnol, des langues accordées en canon
Che Guevara a été tué dans leur pays, ces jeunes Boliviens méritent mieux que de la nostalgie. En convoquant La Marseillaise versions Serge Gainsbourg et Jessye Norman comme un rappel du temps qui passe, en redonnant son sous-titre à la pièce, “Souvenir d’une révolution”, Matthias Langhoff appelle à tourner la page pour imaginer une réinvention du présent.
En guise de coda, sa parole se mêle aux voix des acteurs. Eux disent sur scène le texte en espagnol tandis qu’une vidéo cadre le metteur en scène le lisant en allemand. Rien n’est plus troublant que cette performance où les langues s’accordent en canon. Matthias Langhoff conclut sur le cérémonial pudique d’un passage de témoin. Juste avant le point final, Heiner Müller évoque “une aurore”.
La Mission – Souvenir d’une révolution d’Heiner Müller, mise en scène Matthias Langhoff, en espagnol surtitré en français, les 28 et 29 octobre, Théâtre des Célestins, Lyon. En tournée jusqu’à fin novembre
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