Il n’aura fallu qu’une vingtaine de vidéos postées sur Facebook pour que Moha La Squale devienne l’espoir le plus sollicité du rap français.
Son tout premier concert est prévu à la fin du mois, le soir de ses 23 ans. Inespéré pour ce jeune Parisien qui a écrit son premier texte il y a moins d’un an.
Dimanche 23 juillet 2017, Mohamed se connecte sur Facebook pour mettre en ligne une vidéo. Regard noir, sourire à l’envers, le jeune Parisien rappe sa vie dans une cuisine en bordel, avec un joint à moitié consumé et des cadavres de bouteilles pour seuls spectateurs. “Tout seul ma gueule j’étais sur l’banc des accusés. Seules étaient ma mère et mes sœurs pour m’voir tomber. Tout seul il est mon frère depuis qu’on lui a mis douze piges ferme. Tout seul moi j’pète les plombs quand j’vois l’regard de son fiston. (…) T’façon ma vie n’est pas marrante. Interminable est la pente. J’ai pas connu la terminale mais crois-moi qu’ils deviennent tout pâle quand La Squale récite William. Le passé s’est mal passé, mais le passé c’est le passé. Plus d’occasion à laisser passer : Fleury, Florent j’ai fait les deux.”
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Devant leur écran, ils sont rapidement des milliers à liker et à partager cette minute trente saisissante de charisme et de spontanéité. Dans les quelques lignes qui surmontent le post, Moha signe La Squale et donne déjà rendez-vous : “La suite dimanche prochain.” De juillet à décembre, le natif du 94 ne ratera aucun rencard. Et, chaque dimanche, c’est un public d’internautes de plus en plus nombreux qui se chargera de diffuser une rumeur persistante qui sonne désormais comme une certitude. Dans le XXe arrondissement de Paris, au milieu du quartier de La Banane, un jeune rappeur de 22 ans est bien parti pour tout cramer.
“Pour moi, vendre de la drogue, c’était la vie normale”
Plus de six mois ont passé depuis l’apparition de Moha La Squale sur les timelines des fans de rap français. Février 2018 n’a pas encore congelé Paris quand on le retrouve dans le confort étriqué du studio qui allume ses nuits blanches. C’est ici que MHD a enregistré ses premiers tubes et que Moha poursuit son apprentissage entre deux vannes bienveillantes de Tarik, le producteur qui réalise ses sons depuis le début de l’aventure.
Mohamed est sans doute l’un des rappeurs les plus bruts à avoir franchi le seuil de la petite cabine d’enregistrement. Son premier texte n’a même pas un an.
Mais si la musique a fini par s’imposer “comme une évidence”, c’est d’abord grâce à la comédie que le jeune artiste s’est affirmé. Un concours de circonstances salutaire pour échapper à la répétition des condamnations après deux séjours en prison : “Pour moi, vendre de la drogue, c’était la vie normale. Quand je suis sorti, j’ai un peu refait le con et puis j’ai cherché un travail. Il fallait que je me reprenne. J’ai enchaîné plusieurs tafs de coursier, genre Uber Eats, t’as capté ? A côté de ça, j’aimais bien passer une tête dans les clips de rap qui étaient tournés au quartier. Un soir, j’étais sur le terrain et le mec qui réalisait les vidéos de mon pote Jo Le Phéno est passé. Il s’appelle Hannibal. T’as vu il a un vrai blaze ! C’est un bon, c’est lui qui réalise mes vidéos.”
“Dans ma vie, il ne se passait pas grand-chose. Je ne me suis pas posé de questions, j’ai foncé”
Tous les protagonistes de cette histoire ont un nom à tourner dans un mauvais film avec Steven Seagal mais ils sont bien réels. C’est ainsi qu’Hannibal s’occupe de mettre en relation Moha et Barney Frydman, un réalisateur belge qui cherche de jeunes acteurs débutants pour son prochain court métrage. “Dans ma vie, il ne se passait pas grand-chose. Je ne me suis pas posé de questions, j’ai foncé”, retrace Mohamed.
En 2014, Moha met donc le cap sur Bruxelles en compagnie de son pote Tino. Tous deux passent avec succès le casting de La Graine pour incarner les rôles de Steve et Karim : deux kids sur la brèche, embarqués malgré eux dans une sordide histoire de meurtre. “Pendant le tournage, Barney nous avait laissé son loft à Bruxelles. C’était carré, on était comme des oufs !”, se souvient Mohamed dans un sourire. L’année suivante, le film est diffusé sur Arte : “Une fierté de malade. Je n’attendais que ça et ça m’a grave motivé à continuer dans cette voie.”
Le Cours Florent, “une immense découverte”
Conseillé par Barney Frydman et d’autres membres de l’équipe de tournage, l’apprenti acteur décide de tenter sa chance au Cours Florent. “C’était une petite semaine de stage de repérage. On était une vingtaine d’élèves et j’ai été pris. Une immense découverte. Je me suis ouvert au monde. Pour la première fois de ma vie, je n’étais qu’avec des mecs pas comme moi. Je ne me suis jamais dit que j’aurais un jour la possibilité d’être acteur. Mais quand j’étais petit je rêvais de cinéma et de passer à la télé. J’ai vu le film La Squale mais mon nom de rappeur est un clin d’œil à mon frère, c’était son blaze. La Haine, Ma 6-T va crack-er… Tous ces films-là, je les ai vus hyper jeune. Heat et Les Affranchis aussi. Quels classiques !”
Né à Créteil en 1995, Mohamed Bellahmed a 2 ans lorsqu’il découvre le XXe arrondissement de Paris. La famille s’agrandit et vient s’installer à La Banane, non loin de la rue Duris, qu’il dédicacera une vingtaine d’années plus tard dans son dixième freestyle. Au milieu d’un grand frère, d’une grande sœur et de deux cadettes, Moha prend très vite ses distances avec l’école. Quand on lui demande s’il écoutait beaucoup de rap à l’époque où il était gamin, vers 12 ans, il s’excuse presque de rectifier.
“Pour moi, gamin, c’était bien plus tôt. A 12, 13 ans, j’étais déjà sur le terrain… même si j’avais évidemment des délires d’enfant. Plus jeune, je ne captais pas trop la musique, en fait. Il y avait plein de rap autour de moi mais je n’avais pas un rapport particulier avec cette culture. Le souvenir de rap le plus lointain qui me vient à l’esprit, c’est Sniper : Gravé dans la roche. J’écoutais ça en boucle avec mon frère.”
Des impros entre deux livraisons de sushis
Mohamed quitte le lycée en seconde. Il a 16 piges, plus vraiment la même vie que ses camarades, et aller en cours n’est de toute façon plus une obligation. “Ce n’est que récemment que j’ai repris le goût d’apprendre. En arrivant au Cours Florent, j’ai réalisé que mon cerveau n’en avait pas vu assez. Tout d’un coup, j’avais besoin de savoir le plus de choses possible. J’ai fait presque deux ans là-bas mais je n’y vais plus trop en ce moment. Je ne peux plus tenir le rythme car mon projet musical s’est accéléré entre-temps.”
Au début de l’année 2017, Moha n’est pourtant pas encore l’ombre d’un rappeur. Il se chauffe parfois en improvisant sur son scooter entre deux livraisons de sushis et une session théâtre au Cours Florent : “J’écoutais des instrus sur mon scoot et je me suis pris au jeu petit à petit. Quand on était posé avec les potes, je calais des phases et ça passait crème. Je parle au passé mais c’est hyper récent en fait. Mes premières tentatives datent d’il y a moins d’un an. J’entendais souvent parler de Tarik et de son studio mais je ne l’avais jamais vu. Je savais qu’il enregistrait mon pote Jo et aussi Tino qui est dans le groupe 19 Réseaux. Je me suis dit qu’il fallait que je vienne poser chez lui à un moment ou à un autre.”
Inespéré pour un mec qui ne savait “même pas ce qu’était SoundCloud il y a six mois”
Pendant deux mois, La Squale écrit, demande l’avis de ses potes et décide de se lancer dans le rap à la fin du mois de juillet. L’objectif est clair : concilier son expérience du jeu et son envie de bouffer la caméra pour tenir une minisérie déclinée en plusieurs épisodes hebdomadaires. Chaque freestyle est introduit par une citation de Jacques Brel et le flow de Moha prend le contre-pied des canons actuels du rap.
Entre candeur, malice et authenticité, La Squale devient l’une des cibles préférées des labels français. En l’espace d’une petite trentaine de freestyles publiés à intervalles réguliers jusqu’à la fin de l’année, il explose les compteurs de Facebook et signe dès novembre un contrat avec Elektra France, une filiale de Warner. Inespéré pour un mec qui ne savait “même pas ce qu’était SoundCloud il y a six mois”.
De Facebook à La Maroquinerie
“Dès la publication du deuxième freestyle, j’ai compris qu’il se passait vraiment un truc. J’avais fait 50 000 vues en une journée. C’était un délire. Du coup, je n’ai pas arrêté de bosser. Il fallait charbonner. J’avais tellement la tête dedans que je ne me rendais pas compte de ce qu’il se passait autour. Je reviens de loin, j’avais les crocs et je les ai toujours. S’il y avait eu moyen de faire des clips en 3D ou en hologramme, je serais venu rapper dans ton salon !”
En attendant une avancée technologique à la mesure de sa détermination, Moha La Squale s’offrira bientôt le deuxième plus beau cadeau d’anniversaire de sa vie. Ses potes Tino et Jo Le Phéno assureront la première partie du tout premier concert de sa carrière, prévu le 24 février à La Maroquinerie.
Aucune chance cependant de rivaliser avec le type d’émotion vécue il y a un an : “Pour mes 22 ans, ma meuf avait débarqué avec deux gros ballons. Personne ne m’avait souhaité mon anniversaire à part elle. Elle avait décoré l’appart pendant que je dormais, avec ses petits moyens. C’est ma vie ! Attention, je suis hyper chaud pour La Maroquinerie aussi, hein. Je vais répéter en studio comme un ouf pendant tout le mois. Amenez-moi juste un micro, je suis là pour tout niquer !” En intro du tout premier freestyle publié par Moha il y a tout juste sept mois, Jacques Brel tenait à peu de choses près le même discours : “Le talent ça n’existe pas, le talent c’est d’avoir l’envie de faire quelque chose.”
Concert Le 24 février à Paris (Maroquinerie)
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