De Sony à Microsoft en passant par quelques franc-tireurs comme le Français Blacknut et en attendant l’arrivée possible (voire probable) de Google, le modèle du jeu vidéo par abonnement à le vent en poupe. Sur le plan éditorial comme technologique et commercial, les services disponibles sont cependant très différents. Petit tour d’horizon (non exhaustif) de l’offre actuelle.
Dans l’industrie du jeu vidéo, c’est en train de tourner à l’obsession. Qui sera son Netflix ou son Spotify ? Quel service de jeu par abonnement saura gagner le cœur des gamers qui, après s’être habitués à ne plus posséder « physiquement » leurs jeux avec le développement de Steam et des autres boutiques en ligne de jeux à télécharger, seraient bientôt prêts, selon certains analystes, à ne plus les posséder du temps. Chez les mastodontes de l’industrie comme chez les plus petits, de Sony, Microsoft ou Electronic Arts au Français Blacknut ou à la plateforme indé Jump et alors que les rumeurs d’une arrivée prochaine de Google avec le projet « Yéti » (qui pourrait s’accompagner du lancement d’une console dédiée) se font de plus en plus insistantes, le modèle (économique) du jeu par abonnement a le vent en poupe. Mais il regroupe des réalités bien différentes entre lesquelles il n’est pas toujours évident de faire le tri.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Pour simplifier et même s’il y a des nuances, en la matière, on trouve deux grandes approches. La plus novatrice techniquement, celle qui pourrait vraiment tout changer car elle pourrait théoriquement mettre fin à la course à la puissance qui entraîne le renouvellement du marché des consoles par cycles de 5 ou 6 ans et la nécessité pour les gros joueurs PC de remettre régulièrement à niveau leur machine, c’est le cloud gaming, le jeu en streaming. Dans ce cas, le jeu ne tourne pas sur l’ordinateur (ou la console) de celui qui s’y adonne mais sur une autre machine à laquelle il est connectée via Internet. Ce qui, en premier lieu, est évidemment très dépendant de la qualité de la connexion. Dans le pire des cas, le jeu ne ramera pas parce que votre ordinateur est trop vieux, mais parce que votre débit internet se révèle momentanément souffreteux. Pour cette raison, ce sont rarement les jeux demandant le plus de ressources qui sont proposés sur les plateformes de cloud gaming. « Aujourd’hui, personne ne peut streamer en 4K à 60fps à travers les tuyaux dont nous disposons, reconnaît ainsi Oscar Barda, le directeur éditorial de Blacknut. Donc le marché des hardcore gamers avec ses grosses consoles et ses PC hors de prix ne risque rien pour l’instant. » Pour les utilisateurs, le premier critère sera la vitesse de réaction : si l’écart entre le moment où il appuie sur une touche de sa manette ou de son clavier et celui où il voit le résultat de cette action à l’écran est trop important, le plaisir ne tardera pas, lui, à s’évaporer. En particulier s’il s’agit d’un jeu d’action dans lequel tout est affaire de timing.
A l’opposé du cloud gaming, il y a les offres qui proposent un catalogue de jeux à télécharger. Cette fois, pas de risque de lag ou de déconnexion, mais on retrouve la vieille nécessité d’avoir à la maison un matériel suffisamment performant (et de la place sur son disque dur). C’est le cas, en particulier, avec le Xbox Game Pass de Microsoft qui, en échange un paiement mensuel d’une dizaine d’euros, permet aux possesseurs de Xbox One de faire leur marché à volonté parmi une centaine de titres dont, depuis peu, les nouveautés de Microsoft au moment même de leur sortie comme, cette semaine, le jeu de pirates Sea of Thieves. S’ils préfèrent les jeux d’Electronic Arts, FIFA – les anciens volets –, Battlefield ou Mass Effect –, les adeptes de la console américaine peuvent souscrire à la place au service EA Access (qui a un équivalent sur PC avec Origin Access). Ici, la nouveauté est commerciale plus que technologique. Mais le jeu à télécharger sur abonnement compte aussi des offres pléthoriques (on compte plus de 700 titres, certes très inégaux, chez Utomik) ou plus pointues comme celle de Jump (à 5€ mois) où les jeux sont relativement peu nombreux (un peu moins d’une centaine) mais globalement très bons – on y trouve The End is Nigh, Nidhogg, Fotonica, Wheels of Aurélia ou encore Luxuria Superbia et Sunset des excellents Tale of Tales. A défaut de son Netflix, le jeu vidéo pourrait bien avoir trouvé là son Mubi.
Mais revenons au cloud gaming. A un extrême, il y a le service Shadow : on paie (au moins 30€ par mois) pour accéder à distance et de n’importe quel terminal, ordinateur, tablette ou mobile, à un PC puissant sur lequel on peut entre autres, mais pas seulement, faire tourner des jeux (qui sont vendus séparément). A l’autre extrême, ce seraient les offres des fournisseurs d’accès à Internet Orange ou SFR, qui proposent plus de 200 jeux (du début des années 2010, souvent) jouables directement sur leur box TV, mais pas toujours dans les meilleures conditions. Plus convaincante techniquement, il y a l’option GeForce Now, mais pour accéder à son catalogue de jeux, il faut posséder un boîtier Shield TV, concurrent tournant sous Android de l’Apple TV dont le prix est équivalent à celui d’une console de jeu.
On s’y perd ? Un peu. Et c’est en partie avec l’intention de clarifier tout ça que la start-up rennaise Blacknut a lancé son propre service au début de l’année. Pour 15€ par mois, elle propose à ce jour plus de 90 jeux (et accueille trois nouveautés par semaine) à pratiquer en streaming sur PC, Mac et « très bientôt » – mais on ignore encore quand – sur mobiles et tablettes. La volonté affichée, ici, est celle de l’accessibilité, de la facilité d’utilisation et du catalogue de jeux choisis (plutôt qu’imposé par les éditeurs). « La curation est l’ADN de Blacknut », assure Olivier Avaro, son PDG, qui précise les critères : « les sentiments que le jeu éveille (exaltant, hilarant, réflexif), son message, ses apparences (sa bande son, ses graphismes, son style littéraire), la qualité technologique du jeu (pas de bugs, bonnes performances), son accessibilité et bien d’autres. Notre devise “votre prochain jeu préféré est sur Blacknut” vient de là : de notre capacité à aider les gens, par notre curation ou nos recommandations, à découvrir des jeux dont elles et ils n’auraient pas soupçonné l’existence. »
Étant d’une nature un rien perverse, on s’est empressé de tester Garfield Kart, qui s’est révélé aussi pourri qu’attendu, mais ce serait injuste de réduire Blacknut à ce type de faute de goût car son catalogue (pour l’heure très made in France, mais cela devrait être moins le cas à terme) compte pas mal de petites pépites comme Tengami, A Blind Legend, Pang Adventures, Out There, Sherlock Holmes : The Devil’s Daughter, The Next Penelope ou encore Pan-Pan. Et même de très chouettes jeux de baston des sagas nippones BlazBlue et Guilty Gear – qui, en tout cas avec notre connexion internet personnelle, ont cependant pâti d’un retard préjudiciable dans la prise en compte de nos actions. Globalement, l’orientation à la fois indé et grand public de Blacknut, qui prépare le lancement de son service en Angleterre et en Allemagne, se révèle prometteuse et l’arrivée de son application sur les mobiles et les tablettes pourrait changer bien des choses.
A ce jour, c’est pourtant une autre offre qui ressemble le plus à l’idée que l’on peut se faire d’un Netflix du jeu vidéo : le PlayStation Now. Disponible sur la PS4 de Sony mais aussi sur PC, là aussi pour 15€ par mois, le service regroupe une large sélection de jeux des PlayStation 3 et 4 auxquels s’ajoutent quelques « vieilleries » bienvenues comme Alex Kidd in Miracle World, Crazy Taxi ou Virtua Fighter 2. Le catalogue est riche et varié, mêle grosses productions de la génération de consoles précédentes (BioShock, The Last of Us, Fallout : New Vegas…) et jeux plus indés ou arty (Journey, Pix the Cat, Proteus…), tout ça fonctionne à merveille – sur les jeux de combats et avec la même connexion internet, on n’a pas rencontré les mêmes problèmes qu’avec Blacknut –, mais il y a un « mais » : les jeux proposés doivent obligatoirement être sortis à un moment ou un autre sur une console Sony. On pourra utiliser le PlayStation Now pour refaire le premier Red Dead Redemption avant la sortie du 2 ou pour réviser ses classiques – ses classiques PlayStation, donc –, mais plus rarement pour faire de vraies nouvelles découvertes. Et le service, techniquement très au point, gagnerait sans doute à être davantage éditorialisé avec, pourquoi pas, une approche plus culturelle par époque, série, genre ou créateur. Mais on pourrait en dire autant de Netflix lui-même. Pour le monde du jeu vidéo, le véritable but pourrait bien être là : non pas avoir son Netflix, mais faire (encore) mieux que Netflix.
{"type":"Banniere-Basse"}