A la veille de la journée internationale de la francophonie et du discours du président sur le sujet du 20 mars, les équipes du théâtre Tarmac ont organisé une soirée de mobilisation pour dénoncer la décision du gouvernement de fermer ce haut lieu de création francophone.
20 mars, journée internationale de la francophonie. C’est à cette date qu’Emmanuel Macron a dévoilé son plan d’action à l’Académie française pour la « promotion de la langue française et le plurilinguisme dans le monde ». Depuis quelques mois, le président martèle qu’il compte dépoussiérer, « dé-ringardiser » la francophonie et insiste sur l’importance de celle-ci. Celui-ci a nommé une représentante personnelle de la francophonie, Leïla Slimani – en couverture de notre numéro cette semaine –, organisé une conférence internationale sur le sujet, mis en place une plateforme sur internet.
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Le Pdt @EmmanuelMacron commence son discours à l’Institut de France : « le monde bruisse de notre langue » pic.twitter.com/PSBNcGgNU8
— Pierre Buhler (@PierreBuhler) 20 mars 2018
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Au même moment, le ministère de la Culture a annoncé le 31 janvier dernier, la fermeture du théâtre Tarmac à Paris, unique scène française permanente dédiée à l’accompagnement, à la promotion et à la diffusion des œuvres de spectacle vivant du monde francophone.
Pour le théâtre et sa directrice, Valérie Baran, cette déclaration a eu l’effet d’une gifle. Ce haut lieu de la création francophone se mobilise depuis pour défendre son rôle. Une pétition a été lancée et a pour l’instant récolté 14 000 signatures. Le 19 mars, un débat était organisé au Tarmac autour des enjeux et des visions de la francophonie.
Modérée par la journaliste culture pour Le Monde Afrique Séverine Kodjo-Grandvaux, la discussion rassemblait Malick Diawara, rédacteur en chef du Point Afrique, Nadia Yala Kisukidi, maîtresse de conférences, agrégée et docteure en philosophie à l’université Paris 8, Catherine Blondeau, directrice du théâtre Grand T à Nantes, Héla Fattoumi, chorégraphe et directrice du CCN Belfort et Gustave Akakpo, auteur et dramaturge.
Soirée sur le thème de la francophonie ce soir au Tarmac. Pourvu que ça dure :) pic.twitter.com/JyRaAlTNkd
— Frédéric Hocquard (@Fredhoc) 19 mars 2018
« Rhétorique de la duplicité »
Pour Nadia Yala Kisukidi, il existe une « rhétorique de la duplicité » dans les politiques menées par le gouvernement au sujet de la francophonie. « Il est toujours intéressant d’analyser les discours tonitruants faits par la présidence et d’ensuite observer dans les faits ce qui se produit effectivement. La nouvelle parole élyséenne utilise souvent la pratique du ‘en même temps’. Par exemple, refondons la francophonie et en même temps, supprimons le ministère chargé à la francophonie, chose inédite depuis 1986. En même temps, la revue Afrique Culture, lieu d’expression des pensées francophones voit ses subventions détruites. En même temps, le gouvernement ferme le Tarmac. » Pour la philosophe, il est important de mettre les pouvoirs publics face à leurs contradictions : « il faut leur demander des comptes ».
Même son de cloche du côté de Gustave Akakpo : « Le fait de placer la francophonie au centre de son discours est un geste fort. Mais le problème, c’est qu’au moment où Emmanuel Macron ouvre le débat, il le ferme en même temps. Le signal qui est envoyé est celui du mépris, au lieu de celui de l’ouverture. Il y a du contre-sens tout le temps. »
La France, un centre prescriptif ?
Malick Diawara affirme que les autorités publiques sont coupées d’une certaine réalité. « La difficulté pour les pouvoirs publics français quand ils parlent de la francophonie, c’est qu’ils pensent français. Ils ne pensent pas à d’autres populations qui parlent la langue française avec un autre imaginaire. Sont ils prêts à permettre le développement de toutes ces différences ? A la télévision, à la radio, dans les programmes, on est obligé de constater qu’on utilise toujours un mot pour expliquer que ce n’est pas quelqu’un d’ici. Par exemple, on va dire un Français d’origine … , de la littérature africaine d’expression française ; il existe une distanciation qui complique les choses. »
L’idée de « l’empire français » est malgré tout encore présente. « Nous sommes toujours confronté à l’idée qu’il y ait un centre, un pôle normatif, prescriptif, qui dit comment on doit parler français, qui dit comment on doit penser, qui se construit à Paris et il y a le reste, les provinces, les accents qui ne peuvent pas s’afficher, puis toutes les immigrations post-coloniales. » explique Nadia Yala Kisukidi, en ajoutant : « il est intéressant de voir comment dans la manière dont s’institutionnalise la francophonie se rejoue toujours la question du centre et de la périphérie. D’un centre qui va toujours rapetisser les manières dont les périphéries s’expriment et prennent l’initiative de créer leurs propres imaginaires. » Une idée dont se défend Emmanuel Macron dans son discours. Celui-ci réfute que la France soit vue comme le centre de la francophonie, mais place la langue française comme l’élément central de cette communauté.
Selon les invités, il existe deux sortes de francophonie. Une première « institutionnelle », véritablement verticale, où la France conserverait une forme de domination qui souhaiterait une francophonie à son image et une seconde « de fait », horizontale, populaire, qui recrée de nouveaux espaces d’expression – comme le Tarmac – et qui existe indépendamment des orientations et des enjeux de la francophonie institutionnelle.
L’importance de l’éducation
Afin de se détacher de cette vision verticale, l’éducation joue un rôle primordial pour le rédacteur en chef du Point Afrique. « Quand on regarde les programmes de l’éducation nationale, on réalise qu’il n’y a rien sur l’histoire de l’Afrique, y compris l’Afrique francophone. Donc rien sur l’histoire commune. Avant de partager cette langue, nous avons vécu des choses ensemble sur un plan historique. »
Une affirmation qu’approuve la professeure à Paris 8 qui estime qu’ouvrir des programmes, c’est ouvrir l’espace à d’autres pensées et ainsi permettre de produire d’autres imaginaires politiques. Et ainsi, peut-être, proposer une nouvelle manière de sortir d’un ensemble de débats lourds, rances, sur l’universalisme et le communautarisme, qui jouent dans la manière que l’on a d’appréhender la francophonie. Celle-ci insiste sur la lecture des textes de Césaire, de Senghor, deux auteurs post-nationaux. « Leurs textes inouïs invitent à penser non plus l’empire, non pas les indépendances centrées sur le prisme des libérations nationales, mais des nouvelles fédérations », soutient-elle.
En plus de réfléchir à une meilleure approche de la francophonie par le prisme de l’éducation, Nadia Yala Kisukidi pointe le fait qu’il est également important de réfléchir à comment proposer des scènes d’expositions pour une francophonie qui se fait par le bas, faire vivre des espaces de créations « qui n’attendent pas d’être homologués ou légitimés par les institutions ».
Un lieu important pour les artistes francophones venus d’ailleurs
La fermeture d’un lieu culturel est toujours une triste nouvelle. Dans le cas de Tarmac, cela va même au delà du théâtre en tant que tel. Catherine Blondeau programme 60 à 70 spectacles par an, un travail qui demande beaucoup de temps et demande beaucoup de déplacement pour assister aux représentations. « Je ne peux pas toutes les semaines aller dans les quatre coins de la francophonie voir ce qu’il s’y passe. La création, la production, la circulation de spectacles vivants obéissent à une dynamique de filières. Le Tarmac est essentiel dans cette filière, car pour les artistes c’est aussi un point d’entrée sur le marché français du spectacle vivant. » La directrice du théâtre est catégorique : « Si le Tarmac n’existe pas, le risque est de faire disparaître beaucoup plus largement les artistes francophones de la scène française car la probabilité de voir leur première création sera extrêmement faible. »
Pour Gustave Akakpo, qui conclut la discussion, « on ne devrait plus débattre sur la francophonie aujourd’hui. On sait toute la vilénie qui entoure l’émergence de ce mot, dans une pensée d’expansion coloniale, mais les pères de la francophonie ont compris que c’était un espace de partage. La France doit comprendre qu’elle peut être forte de la multiplicité des entrées de son espace et créer des parcelles entre ces espaces. »
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