“Envoyé spécial” consacre ce 22 mars un portrait fouillé à Jean-Luc Mélenchon, avec des témoignages et des documents inédits. Et tente de faire le lien entre ses différentes métamorphoses, jusqu’à ce qu’il devienne le leader d’un mouvement hégémonique – à l’avenir encore incertain – à gauche.
Nous sommes en 2005, le Parti socialiste vient de se fracturer sur la question du Traité constitutionnel européen (TCE). Sur le perron de Solférino, François Hollande (partisan du “oui” au référendum), cravate rouge à pois nouée autour du cou, assure à une myriade de journalistes qu’il est “celui qui peut rassembler” le parti. Soudain, une voix venue de loin bouleverse le conciliabule : “Dégagez la voie !” “Là, y’a Mélenchon qui arrive, on le reconnaît !”, sourit Hollande l’ère contrit, avec une pointe de mépris qui en dit long sur leur animosité réciproque. Et Méluche de fendre la foule, tout sourire, pour parvenir à l’entrée de “Solfé” : “J’ose pas dire que tu gênes mais…”, souffle-t-il au passage en se marrant, content de son coup.
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“Vous connaissez le film ‘Le Cercle des poètes disparus’ ? M. Mélenchon, c’était ça”
Cette archive savoureuse nous est offerte par un documentaire d’Envoyé Spécial consacré à Jean-Luc Mélenchon – “Mélenchon le caméléon”. Ironiquement, ce dernier manie alors déjà – à l’échelle individuelle – la rhétorique “dégagiste” dont il a fait sa marque de fabrique en 2017. Il n’a pourtant pas encore quitté le PS, dont il a été membre pendant trente ans avant de fonder le Parti de gauche (en 2008). Peu enclin aux regrets, le désormais député des Bouches-du-Rhône, à l’aise dans ses nouveaux habits de premier opposant avec la France insoumise (LFI), admet au micro de Pierre Monégier qu’il a fait preuve d’une remarquable faculté d’adaptation au cours de sa carrière : “Dans ma vie d’homme, j’ai eu du goût à faire le caméléon, c’est-à-dire à être comme les autres là où j’étais. C’était pas très dur. Par contre en politique, je me reprocherais plutôt d’avoir eu du mal à rompre quand je savais qu’il fallait rompre. Au PS […] j’ai eu du mal. J’aurais dû [rompre] dès 2005”.
Ce sont ces multiples vies qu’ausculte le documentaire (qui succède, dans un genre totalement différent, au film L’Insoumis, de Gilles Perret) : celle de caricaturiste à la fin des années 1970 sous le pseudo de Moz dans La Croix jurassienne (dessins à l’appui), celle de journaliste sous le nom de Jean-Louis Mula, celle de militant révolutionnaire dans l’Organisation communiste internationaliste (OCI, d’obédience trotskiste) sous le blaze de Santerre, ou encore celle d’enseignant dans un lycée technique du Jura. Si le principal intéressé ne s’exprime pas lui-même sur ces épisodes lointains (il l’a fait longuement dans le livre Le Choix de l’insoumission), Envoyé Spécial fait intervenir quelques témoignages inédits. Comme celui de Pierre Coton, un de ses anciens élèves qui a conservé précieusement une photo de lui prise par son professeur : “Vous connaissez le film Le Cercle des poètes disparus ? M. Mélenchon, c’était ça. Il ne nous a jamais demandé de nous mettre debout sur le bureau, mais s’il nous l’avait demandé, je ne sais pas, peut-être que certains l’auraient fait !”, confesse-t-il.
“Il y a plusieurs personnes dans la personne”
Mélenchon a beau avoir eu plusieurs vies, des traits communs les rassemblent donc : sa rhétorique imparable, la fascination qu’il suscite chez ses proches, sa qualité de “passeur” (dixit son “fils spirituel” Gabriel Amar) ou encore son sens de la politique (“C’est un anthropophage en politique, il a dévoré tous ses alliés”, dit de lui Alain Duhamel). Son souci de conquérir l’hégémonie culturelle à gauche, aussi. “Il y a plusieurs personnes dans la personne, peut-être que tout l’enjeu philosophique est d’arriver à mettre toutes ces personnes d’accord”, convient le leader de LFI.
Dessinateur de presse, rédacteur : quand Jean-Luc Mélenchon s'essayait aux métiers du journalisme.
🔴 "Mélenchon le caméléon"
📺 Jeudi 20h55 #EnvoyeSpecial pic.twitter.com/EvtRBbHSSd— Envoyé spécial (@EnvoyeSpecial) March 20, 2018
A l’occasion de la visite d’une bibliothèque dans la cité phocéenne, il fait justement le lien entre “Jean-Luc” et “Mélenchon”. Le journaliste l’interroge sur un roman de science-fiction pour lequel il nourrit une inaltérable admiration : Fondation, d’Isaac Asimov, qui raconte comment un savant nommé Hari Seldon a prédit l’avenir de l’être humain des siècles en avance. “Jean-Luc” l’a lu quand il avait une vingtaine d’années : “A l’époque c’était ma tentation d’homme jeune, je trouvais le marxisme un peu sec, trop mécanique, tel qu’on me l’enseignait. Tandis que Seldon prenait en compte tous les paramètres humains et culturels, ça me fascinait, c’est sûr”, dit-il. Des décennies plus tard, “Mélenchon” s’en est souvenu, en reprenant l’idée de l’hologramme à ce classique de la S-F durant la campagne de 2017.
L’exercice du pouvoir
Un an après l’élection d’Emmanuel Macron, et à l’approche des élections européennes de 2019, le tribun se garde pourtant bien de jouer les prophètes. Son voyage en Grèce pour soutenir ses amis du micro-parti Cap sur la liberté, une scission de Syriza fondée par l’ancienne présidente du Parlement, Zoé Konstantopoúlou, offre une mise en abyme intéressante. En terres helléniques, la gauche radicale s’est fracassée contre l’exercice du pouvoir. Aussi Mélenchon assume-t-il, dans une confidence rare, la fragilité du mouvement encore récent qu’il a soulévé : “Si ça se trouve, dans six mois, le mouvement [LFI, ndlr] sera un horrible champ clos de querelles et de luttes”.
Mélenchon le caméléon, de Pierre Monégier, Elouen Martin et Emmanuel Lejeune, dans Envoyé Spécial, le 22 mars à 20h55 sur France 2
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