Pointu, innovant et bordélique : Attable, festival dont la première édition s’ouvre à Lyon, a bien l’intention de bousculer les codes.
A quoi sert un festival culinaire ? La plupart du temps, la réponse tient en un mot : l’autocongratulation. Soit un engorgement starisé des chefs venus présenter à un public conquis d’avance la dernière expression de leur talent. A coups de recettes reproduites lors de cours de cuisine géants, ou dans le cadre de buffets où tout le monde fait la queue trop longtemps pour manger dans une assiette en carton, c’est une idée de la place du cuisinier ou de la cuisinière qui se joue ; une idée un peu démonstrative, scénarisée, old school, synchrone avec l’imaginaire Top chef.
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Avec Attable (attable.eu), dont l’édition prototype montée à la hussarde en à peine trois mois se déroule à Lyon cette semaine, il se pourrait qu’une graine différente se mette à pousser, un point de vue plus singulier sur ce passage devenu obligé de la vie des restaurants et de ceux qui les façonnent.
“J’ai l’impression qu’on a créé un truc qui n’existe pas”
L’un des organisateurs, l’ancien du festival Nuits sonores, Mat Gallet, explique le concept : “J’ai l’impression qu’on a créé un truc qui n’existe pas. Pendant quarante heures non stop, on va manger jour et nuit, dans la rue, les restos et même dans une piscine. C’est un festival de cuisine et de culture, un peu pointu !”
L’idée est venue de conversations à plusieurs, avec notamment Mathieu Rostaing-Tayard, chef prodige du Café Sillon dans le quartier de la Guillotière, et Andrea Petrini, globe-foodie, journaliste et agitateur culinaire toujours motivé.
Le constat ? La “capitale” de la gastronomie française s’est un peu endormie sur ses lauriers, incapable de prendre le pouls de l’époque. Diplomate, Mat Gallet explique que “Lyon est une ville gourmande, mais ne vit plus tout à fait au tempo de la cuisine d’aujourd’hui, un peu coincée entre deux trucs…”
Attable va donc investir quelques lieux emblématiques d’une vague nouvelle (en plus du Café Sillon, le génial Kitchen Café, En mets fais ce qu’il te plaît, etc.) et inviter une foultitude de chefs d’ici et d’ailleurs, d’Iñaki Aizpitarte à Bertrand Grébaut, en passant par Romain Tischenko, Jérôme Bigot, Chloé Charles, Dario Puglia, Davide Scabin, Sven Chartier, Tabata Mey, Simone Tondo…
“Créer des zones d’autonomie temporaires”
“On n’a pas envie de les mettre en concurrence, mais de créer des zones d’autonomie temporaires, du no limits convivial et performatif”, explique Andrea Petrini. Depuis les années 1980, cet ancien de Globe et de Libé, d’Omnivore et du classement World’s 50 Best, travaille à analyser et vivre la cuisine comme il analyse et vit le cinéma, la littérature ou la musique. Pasolini, Lynch et Claire Denis font partie de ses influences majeures.
Dans le cadre de son collectif Gelinaz!, il avait par exemple demandé à une flopée de chefs d’improviser autour de l’album Manafon de David Sylvian. “Un an après la sortie du disque, en 2010, j’ai proposé à Daniel Patterson, Albert Adrià et René Redzepi de Noma, entre autres, de mitonner à plusieurs en utilisant la construction improvisée. Ce disque était le point de départ, car David Sylvian l’avait enregistré avec des spécialistes des musiques improvisées. Au départ, les chefs étaient désemparés, sans repères, mais aujourd’hui il n’y a rien qu’ils aiment plus que ça ! L’idée est d’essayer de bouger les lignes, d’attaquer l’idée du copyright, la notion d’auteur en cuisine. Je pense que le cuisinier peut jammer et remixer les recettes des uns et des autres…”
Cet esprit frondeur préside au festival Attable, dont on peut espérer une première édition bordélique, malpolie, voire furieusement débridée, avec des conférences “In bed with”, un hommage décalé à Paul Bocuse juste après une “cantine de nuit” au café Sillon.
“Cette édition a été préparée en mode commando”
On croisera des cuisiniers totalement inconnus en France, regroupés dans un Collectif de la jeunesse autrichienne pour une société progressiste dont le but sera “d’occuper” le potager du Bistrot de Gerland comme autrefois on occupait les usines… Six cheffes, dont Céline Pham ou l’Italienne Jessica Rosval de l’Osteria Francescana, ont pour mission de cuisinier un porc entier, avec la certitude que food et féminisme peuvent avancer ensemble…
Tout heureux, Andrea Petrini raconte qu’il a réussi à convaincre l’Autrichien Lukas Mraz, 26 ans, de faire goûter aux festivaliers son “fair gras” : ‘‘Fair comme juste et gras comme gras ! C’est le premier foie gras 100 % végétal et vegan. Rien que l’idée m’amuse et j’ai trop hâte de goûter ça. Ce garçon a de l’humour et il prend une position politique. Il travaille dans l’irrévérence. C’est ce qu’on peut attendre de la cuisine, non ?”
Mat Gallet reprend la balle au bond : “Cette édition a été préparée en mode commando, sans filet. Notre ambition, dans les années à venir, serait que ce festival devienne, toutes proportions gardées, le Berghain (célèbre club techno berlinois – ndlr) de la bouffe. Un lieu où tout est possible.”
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