Rien de tel qu’une disparition programmée pour régler une bonne fois le problème des réfugiés. C’est sur ce thème imposé que Christoph Marthaler décrit avec humour le repli sur soi en lieu et place d’accueil des réfugiés.
Ce qu’on a sous les yeux, on ne le voit pas. Mais que l’on dise monstre du Loch Ness ou Yéti et l’imagination part en vrille. Alors, le jour où Matthias Lilienthal, le directeur du Münchner Kammerspiele, a cru bon de passer une commande sur le thème des réfugiés à Christoph Marthaler, il ne pouvait s’attendre qu’à une fantasmagorie plus vraie que nature, mais non moins surréaliste, que le réel qui l’inspire.
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Tiefer Schweb est au Suisse Marthaler ce que “Nessie” est au Loch Ness : un monstre – et ici un centre de migration animé par des “politiciens inutiles” qui doivent gérer la situation compliquée des migrants, plongé au point le plus profond du lac de Constance, le bien nommé Bodensee, situé à la frontière de l’Autriche, de l’Allemagne et de la Suisse.
Homme pyramide ou homme requin
Inutile, il n’en est pas moins actif et prend sa mission très au sérieux, même si les termes ne sont pas clairs, le règlement à inventer et ses compétences réduites à un abécédaire hilarant dans la démonstration de son inanité.
Tout de bois lambrissé, le bathyscaphe de Tiefer Schweb est pourvu d’un périscope qui sert tour à tour de dépotoir, de lieu de circulation et de point de chute pour l’homme-grenouille qui vient donner des nouvelles du cauchemar qu’est devenu le monde, peuplé de créatures fantasques tels l’homme pyramide ou l’homme requin dont l’évocation fait trembler les parois de leur refuge.
Ces politiciens s’accordent magnifiquement à chanter entre deux tours de table un répertoire élastique qui relie Bach, Mozart, Procol Harum et Simon & Garfunkel, la teneur de leurs discours maintient toujours à une aimable distance philosophique toute possibilité de traduire concrètement l’art et la manière d’accueillir, intégrer et couler dans la masse l’afflux de réfugiés. Des emprunts à Jacques Derrida, Martin Heidegger, Franz Kafka, Henri Michaux et Emanuel Schikaneder y côtoient d’autres faits à Herbert Achternbusch, auteur et réalisateur munichois anarcho-surréaliste.
La loi de la saucisse
Ils s’insèrent avec bonheur dans le dialogue de sourds de ce comité qui n’a bientôt à cœur que d’organiser la mise à l’épreuve des “entrants” sur les principes de base de la culture bavaroise. Par la loi de la saucisse dont la recette se doit d’être connue par cœur, la bavarianisation exige une démonstration de danse et donne lieu à un défilé de costumes extravagants qui finiront jetés au feu.
Quant au centre de migration, il se transforme bientôt en camp retranché sous la houlette d’un constructeur fou,et le naufrage de la mission apparaît in fine comme le seul élément raisonnable d’un projet lesté de tant d’impuissance qu’il ne pouvait que couler corps et biens et disparaître sans laisser de traces. Fabienne Arvers
Tiefer Schweb Mise en scène Christoph Marthaler, en allemand surtitré en français. Au festival Programme Commun, les 23 et 24 mars au Théâtre Vidy-Lausanne
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