La web-série d’Arte “Runet, La bataille de l’Internet russe” questionne les ambivalences de la toile russe. Contre la censure et la propagande pro-Poutine, Internet s’affirme comme le dernier espace de liberté. Une bataille engagée entre le Kremlin et les opposants, à la veille de l’élection présidentielle du 18 mars.
« Runet, au cœur de l’Internet russe« , la web-série documentaire d’Arte réalisée par Tania Rakhmanova, dévoile les rouages du Runet (contraction de Russia et Internet.) Dans un pays où l’Etat exerce un contrôle pesant émergent pourtant de nombreuses figures d’opposition. Face au musellement des chaînes de télé, Internet apparaît comme un espace privilégié, un lieu de contestation pour les blogueurs. Et devient le terrain d’une lutte sans merci, entre une “cyber-milice” zélée d’un côté, des activistes et hackers toujours plus déterminés, de l’autre.
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Une plongée de dix épisodes de sept minutes dans les méandres de la toile russe. Sujet captivant et d’une actualité brûlante. Par son regard exigeant porté sur la société, la série remet en perspective le pouvoir du Kremlin, à l’aune de l’élection présidentielle du 18 mars prochain.
Une belle façade
« Si le pouvoir n’aime pas ce qui se dit sur Internet, il n y a qu’une solution. Il faut investir le même réseau, proposer d’autres solutions au problème, et le faire d’une manière plus créative« , déclarait Vladimir Poutine sur la chaîne de télé Russia-24. En d’autres termes : s’immiscer sur la toile, imposer une ligne de pensée univoque. « D’un côté ils détruisent Internet et de l’autre ils l’utilisent pour montrer une belle façade« , commente à ce propos le Youtubeur politique Kamikadzedead.
La réalisatrice Tania Rakhmanova révèle ainsi les nombreuses techniques de contrôle du net. Avec notamment la création, par le parti au pouvoir Russie Unie, d’une école pour futurs blogueurs. L’Etat tente ainsi de rivaliser avec les blogueurs stars du net – les 10 plus populaires représentent 80 millions d’abonnés –, en imposant ses propres influenceurs. Ils seraient environ 2 000 à la solde du Kremlin. Une opération de séduction destinée à promouvoir l’image d’un pays jeune et moderne.
En investissant des sommes colossales, l’Etat mène donc une campagne de propagande qui vise à uniformiser le net. Mais, alors que les chaînes de télé telles que Russia Today livrent une vision unique du pouvoir, Internet fait aujourd’hui figure de rempart.
1984 ou la réalité russe
Du côté de l’opposition, le principal adversaire de Poutine, le blogueur Alexeï Navalny, avait lancé un appel à manifester contre la corruption du gouvernement, l’année dernière, sur les réseaux sociaux. Une initiative couronnée de succès – des milliers de jeunes étaient sortis dans les rues – qui lui a valu 30 jours de prison. Mais il est loin d’être un cas isolé.
Ainsi, en 2016, plus de 6 000 investigations ont été menées par les autorités, et plus de 200 personnes condamnées à de la prison ferme pour des posts critiquant la politique de Vladimir Poutine, rappelle la réalisatrice. C’est notamment le cas d’Aleksei Koungourov, qui après avoir commenté l’intervention russe en Syrie, a écopé de deux ans de prison. Ou encore d’Andrei Boubeev, dont les tweets contre l’ingérence russe en Ukraine lui valurent également 2 ans de prison.
« Si ça vous semble délirant, comme dans 1984 d’Orwell, dites-vous que c’est simplement la réalité russe », déclare Alexeï Navalny devant la caméra d’Arte.
100% russe
Même son de cloche du côté de la chaîne de télévision privée et indépendante TV2, créée en 1990 à Tomsk, en Sibérie occidentale. Récompensée par plusieurs prix et reconnue pour son impartialité, elle dû néanmoins mettre la clef sous la porte, début 2015. Comment trouver des annonceurs, dans un pays où la grande majorité des investisseurs appartiennent à l’Etat ? Bien que les autorités aient coupé la diffusion de la chaîne, elle essaie aujourd’hui de se lancer sur le net.
A cela s’ajoute des interdictions absconses, comme une loi qui interdit aux personnes ayant une double nationalité de posséder un média. Pour ne pas que les autorités retirent sa licence de presse à TV2, son rédacteur en chef Viktor Muchnik explique ainsi devoir solliciter les 140 consulats de chaque pays de la planète, pour recevoir les preuves justifiant de son unique nationalité russe… Des démarches kafkaïennes, mises en lumière dans la web-série, qui cerne habilement les enjeux politiques et économiques du pays.
Runet, la bataille de l’Internet russe, écrit et réalisé par Tania Rakhmanova, Arte France, Seppia Interactive.
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