Le documentaire de Bryan Fogel sur le système étatique de dopage en Russie a décroché l’oscar de sa catégorie aux dépends de concurrents comme Agnès Varda. Où quand le journalisme testostéroné détrône l’inventivité cinématographique et poétique.
Produit par Netflix, Icare de Bryan Fogel a décroché l’oscar du meilleur documentaire, battant entre autres Visages villages d’Agnès Varda et JR. Quand on connait les deux films, ce vote renseigne sur le goût de l’Académie des oscars mais peut-être aussi sur le goût dominant international (qui est celui de Netflix) qui préfère le simplisme, l’efficacité, la puissance et un certain académisme à l’inventivité, la fragilité, la créativité, l’expérience.
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Tout parait faux
Icare raconte le dopage dans le sport contemporain. Cycliste amateur, interloqué par le fait que le superdopé Lance Armstrong soit passé des centaines de fois à travers les mailles du filet de l’antidopage, le réalisateur a souhaité prouver par lui-même la faillite de tout le système de détection. Il décide de participer à une course amateur en suivant un programme de dopage concocté par un certain Grigory Rodchenkov… qui n’est autre que le directeur du labo russe officiel de la lutte antidopage ! Première confusion du docu : on ne comprend jamais pourquoi une haute personnalité de l’antidopage aiderait à ses risques et périls un cycliste amateur américain à se doper scientifiquement. On voit donc Fogel faire ses piqûres quotidiennes d’EPO, collecter des échantillons de son urine, le tout sous la surveillance de Rodchenkov avec lequel il échange régulièrement par Skype. Tout est présenté comme vrai et en même temps, tout parait faux, scénarisé, d’autant que Rodchenkov s’avère être un véritable cabotin. La réalité dépasse la fiction, ou se brouille avec. Là-dessus, une télé allemande diffuse un reportage sur le dopage organisé en Russie qui suscite un séisme international. Une enquête au plus haut niveau s’ensuit, qui confirme l’existence d’un dopage étatique russe ayant servi au moins aux JO de Pékin (2008), Londres (2012) et Sotchi (2014). Selon Rodchenkov, c’est parce qu’il était galvanisé par le triomphe de ses athlètes dopés à ces derniers jeux (d’hiver) que Poutine aurait ensuite attaqué l’Ukraine : il schématise parce que le conflit russo-ukrainien a débuté bien avant Sotchi mais marque un point en reliant puissance sportive nationaliste et ubris guerrier. Mais suite à l’enquête internationale prouvant que dopage et antidopage sont les deux faces d’un même simulacre duplice, les athlètes russes sont suspendus pour les JO de Rio (2016). Rodchenkov, qui a témoigné, devient pestiféré dans son pays et c’est en Snowden russe qu’il est exfiltré aux Etats-Unis avec l’aide de Bryan Fogel qui est devenu son ami. Vivant désormais caché, craignant pour sa vie, le biochimiste russe confirme devant la caméra de Fogel l’ampleur du dopage russe, son caractère systémique et étatique, mouillant toute la hiérarchie politique russe jusqu’à Poutine.
Storytelling artificiel et schématique
Icare ne fait donc que confirmer ce qu’avaient déjà révélé de nombreux articles et enquêtes. Mais il a son intérêt en prenant comme personnage principal un homme qui fut au coeur du système, à la fois dopeur sous la table et antidopeur officiellement. Au-delà de la triche qui affecte les grands évènements sportifs internationaux, toute cette affaire en dit aussi très long sur le régime poutinien, sa façon de gouverner, son rapport à la propagande et son intransigeance vis-à-vis de toute critique, de toute opposition, qui peut aller jusqu’à l’assassinat (énième exemple en ce moment avec l’agent double empoisonné à Londres). Journalistiquement parlant, et malgré les dérives spectaculaires qui l’alourdissent telles du mauvais cholestérol, ce doc de Bryan Fogel est donc valable. Mais s’il aurait pu postuler au prix Pulitzer, méritait-il un oscar ? Certainement pas à nos yeux cinéphiles. Icare est fabriqué selon les codes et méthodes mille fois vus des docus américains qui doivent plus aux règles de fer du reportage télé qu’au documentaire d’auteur. Personnalisation des sujets, storytelling artificiel et schématique, mise en place de bons et de méchants, montage rapide et rythmé guidé par la trouille d’ennuyer le spectateur, musique omniprésente, enchaînements musclés, sensationnalisme. Malgré tout celà, Icare réussit à être paradoxalement ennuyeux, notamment au début, quand Fogel suit son programme de dopage ne nous épargnant pas ses séances quotidiennes d’injection, puis sa participation à la course, séquences qui au final ne servent pas à grand chose puisque c’est la diffusion du reportage télé allemand qui va tout faire imploser (et donner un bon coup d’accélérateur à ce film). Bref, il n’y a ici pas la moindre trace d’observation patiente, de composition de plans, de recherche stylistique, il n’y a tout simplement pas de cinéma. Icare est l’équivalent d’un reportage d’Envoyé spécial ou de Cash Investigation qui serait bodybuildé et durerait 2 heures plutôt que dix minutes. Du journalisme audiovisuel dopé à l’EPO du montage et à la créatine du sensationnalisme, un objet qui est au cinéma ce que la gonflette est au muscle ou ce que l’opinion réactive est à la pensée. La puissance Netflix a parlé et tant pis pour Varda et JR qui s’en remettront sûrement très bien.
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