Faire de l’être humain un cyborg immortel, progrès ou danger ? Jacques Testard, père du premier bébé éprouvette et Agnès Rousseaux, journaliste, signent un essai éclairé et engagé sur les risques de ces promesses fascinantes.
Formidable avancée que de redonner la capacité de mouvement à des patients tétraplégiques, ou prolonger la vie d’un malade cardiaque grâce à un cœur artificiel… Mais placer des électrodes dans nos cerveaux, pouvoir choisir à l’avance le sexe et l’apparence de son bébé, hacker des corps humains ? De progrès indéniable à pratique controversée, la frontière est mince, parfois déjà dépassée. Une enquête questionne la limite entre usage thérapeutique et human enhancement. Publiée aux éditions du Seuil, Au péril de l’humain croise le regard d’Agnès Rousseaux, journaliste et coordinatrice de Basta ! média online indépendant sur l’actualité écologique et sociale, et celui de Jacques Testart, biologiste et père scientifique du premier bébé éprouvette français.
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Des capacités cérébrales et physiques limitées
Au fil des pages de ce recueil baptisé Au péril de l’humain, le duo décortique la notion de transhumanisme, mouvement de pensée dont le nom évoque un roman de science-fiction, les séries Black Mirror ou Altered Carbon. A quoi rêvent les transhumanistes ? Si certains psychologues voient en leur discours la manifestation d’une haine de soi, d’un découragement profond face à l’être humain, ou d’une incapacité à envisager la fin qui nous guette, eux revendiquent la création d’un être supérieur, technologiquement augmenté, rendu immortel. Car oui, en 2018, l’être humain meurt, tombe encore malade, a des capacités cérébrales et physiques limitées. Pour le transhumaniste, il est nécessaire de compenser ces médiocrités naturelles. Pour cela, il aspire à une symbiose avec la machine, quitte à élever le robot au statut d’égal de l’homme. Cette pensée est très développée aux Etats-Unis, là où se situent les sommités de la recherche scientifique, les laboratoires les plus réputés, mais aussi les entreprises les plus influentes du monde, pour beaucoup engagées dans le financement de ces recherches.
Un discours bien huilé
Comme tout militant cherchant à rallier à sa cause, le transhumaniste profère un discours bien huilé, que Jacques Testard et Agnès Rousseaux ont tâché de décrypter : « Le transhumanisme aurait toujours existé, depuis l’Antiquité où les hommes ont fusionné l’idée d’eux-mêmes et de la divinité via diverses figures mythiques. Les lunettes, le sonotone, quant à eux, ont intégré nos quotidiens sans que personne n’y trouve quoi que ce soit à redire« .
Un discours qui banalise leurs ambitions et valorise leurs promesses. Rendre le futile indispensable, argument pour que chacun s’empare de ce progrès sans craindre le flicage permanent, la dérive autistique, et l’aliénation à la prothèse vite devenue aussi indispensable que si on la possédait depuis la naissance. Chose que d’autres ont déjà réussi avec le téléphone portable. Au bout de la démarche, « faire de l’humain l’égal du robot ou inversement, serait ainsi pour eux le summum de l’humanisme. Et le refus de certains dispositifs techniques s’apparenterait à de la xénophobie« , expliquent les deux auteurs.
Ces aspirations surhumaines séduisent déjà beaucoup outre-Atlantique. « Les promesses humanistes se diffusent facilement car la face souriante de chaque objet nouveau et brillant oblitère aisément les interrogations sur sa face cachée » écrivent Jacques Testard et Agnès Rousseaux. Jeunes étudiants comme scientifiques expérimentés, ils sont de plus en plus nombreux à faire leurs propres expériences, quitte à passer par des opérations pour le moins étonnantes, jouer avec les mécanismes de la vie.
Peut-on réellement se permettre de coudre les vaisseaux sanguins de deux souris entre eux, injecter de l’ADN animal à un humain ou rejeter des molécules mutantes issues de manipulations hasardeuses dans la nature sans craindre le moindre dérapage ? Le transhumanisme s’apparente souvent à un jeu dangereux : aux États-Unis, des événements sont organisés pour encourager la prise d’initiative. Parmi les participants, certains se sont infiltré des implants magnétiques sous la peau des doigts pour titiller leur sensibilité tactile.
La mort, un simple problème technique ?
Que penser de cette obsession de vaincre la mort, de l’annuler, elle qui est considérée comme un problème technique dans notre existence ? Quel avenir pour une planète où l’on ne meurt plus ? Quid du caractère éphémère de nos existences qui permet de leur donner du sens ? Les deux auteurs d’Au péril de l’humain, s’inquiètent de cet objectif fou. Modifier nos mécanismes physiologiques en les robotisant, c’est perturber l’équilibre naturel de la vie. « Nous ne prétendons pas que la nature, telle qu’elle résulte d’évolutions hasardeuses, serait parfaite. Mais nous constatons que ces hasards furent assez heureux pour nous permettre de ne pas désirer un autre monde« , attestent-ils.
Au péril de l’humain traite aussi de tout le volet économique de ces expériences futuristes. Des entreprises comme Google investissent beaucoup d’argent dans ce secteur de la recherche. Ces monstres capitalistes devenus de grands défenseurs de la vie humaine ? Soucieux de prendre de l’avance dans la commercialisation de ces nouvelles pratiques, il s’agit surtout de déposer des brevets, vendre des appareils, obtenir de la rentabilité. Au péril de l’humain, voyage passionnant et effrayant, appelle à alimenter le débat afin de se dégager des promesses dangereuses. Car les limites de cette idéologies ne sont aujourd’hui « ni médicales ou éthiques, seulement techniques et financières ».
Au péril de l’humain, les promesses suicidaires du transhumanisme, par Jacques Testart et Agnès Rousseaux (Seuil), 14,99 €
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