Le cinéaste redéploie le canevas Ocean’s Eleven dans une Amérique redneck et réussit une comédie sociale mordante portée par un casting crépitant.
Il avait promis de prendre sa retraite. C’était en 2013, à Cannes, après la projection du somptueux Ma vie avec Liberace. Il nous avait juré, droit dans les yeux, que le cinéma, du moins sur grand écran, c’était terminé pour lui ; nous étions restés sceptiques. Quatre ans (une broutille) et deux cents projets plus tard (on exagère à peine), le plus actif, haut la main, des cinéastes actuels, revient. Avec un film de cinéma. Un grand film pour le grand écran : Logan Lucky.
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Channing Tatum, pour la quatrième fois avec le réalisateur de Magic Mike et particulièrement en majesté, y joue un ancien footballeur devenu, à cause d’une blessure à la jambe, ouvrier sur un chantier. Or, cette même blessure provoque son licenciement. Et cette rupture lui donne une idée : plutôt que de pointer au chômage, pourquoi ne pas profiter des informations qu’il a accumulées sur son dernier chantier (dans la tuyauterie d’un circuit automobile), pour dérober la recette journalière de la plus grande course de l’année ?
Il s’entoure pour cela de son frère barman (Adam Driver, idéalement taiseux), lui aussi éclopé (mais de guerre), de sa sœur coiffeuse (Riley Keough) et d’un spécialiste en explosifs (Daniel Craig) qui n’a qu’un défaut : être en taule.
Une petite bande de rednecks rusés et déterminés
Après avoir usé jusqu’à la corde son concept le plus célèbre, Ocean’s Eleven et ses pénibles suites, Soderbergh le réinjecte dans l’Amérique profonde, ce Sud qui l’a vu naître et pour lequel il a toujours gardé une infinie tendresse. Et il parvient dans l’opération à régénérer le canevas cramé du film de casse.
De sa petite bande de rednecks rusés et déterminés, il faut ainsi dire avec quelle sorte de générosité le cinéaste les regarde : non pas la fausse bienveillance de ceux qui “se penchent” sur plus bas qu’eux pour leur servir l’aumône cinématographique, mais au contraire la plus sincère empathie, celle qui n’exclut ni le mordant, ni la lucidité politique, au plus près des meilleurs Coen ou Farrelly – voire, pourquoi pas, de Robert Guédiguian.
Il y a toujours un risque à faire composer par des stars des personnages d’extraction populaire, accent et patois à l’appui. Or, tous ici font des miracles, y compris le Britannique Daniel Craig aussi loin que possible de ses habituelles interprétations de gentlemen râblés.
Une qualité de regard associée à une écriture particulièrement brillante
On sait la passion de Soderbergh pour les personnages débrouillards (comme lui), confrontés à d’impossibles défis qu’ils surmontent par leur charme et un tout petit peu de chance. Ici, c’est Channing Tatum, son alter ego boiteux, qui porte ce flegme irrésistible, mais aussi une charge émotionnelle proprement fordienne, par le biais de la relation qu’il entretient avec sa petite fille, et qui explose – chose rare chez ce cinéaste réputé cérébral – dans une scène de chant très cheesy sur le papier et magnifique à l’écran.
Cette qualité de regard, associée à une écriture particulièrement brillante signée de l’inconnue Rebecca Blunt (que d’aucuns voient comme un paravent du réalisateur ou de son épouse, Jules Asner), fait de Logan Lucky un des trois ou quatre meilleurs films de son auteur.
Cela suffirait à la plupart, mais lui voit plus loin : revenir, d’accord, mais pas sans faire sauter la banque – comprenez Hollywood. Sans entrer ici dans les détails (lire la rencontre dans Les Inrockuptibles n° 1142), disons que Steven Soderbergh cherche à ranimer, avec des outils modernes, le vieux rêve d’indépendance que Coppola effleura dans les seventies, avant de se crasher sur le mur de l’argent. Produit et distribué sans les studios, Logan Lucky, qui est déjà sorti aux Etats-Unis et sur plusieurs territoires, n’a hélas pas généré d’énormes profits ; juste assez toutefois pour que l’expérience vaille le coup d’être retentée.
Aussi, Soderbergh a gagné petit, mais il a gagné. Et à bien y regarder, c’est très précisément ce que raconte son film. Pour prolonger la fameuse formule critique de Jacques Rivette, un film n’est pas seulement un documentaire sur son propre tournage, mais également un relevé de la place de son auteur sur l’échiquier industriel. Et en l’occurrence, celui qui nous occupe vient de passer de la place du fou à celle du cavalier – en attendant de faire tomber le roi ? Jacky Goldberg
Logan Lucky de Steven Soderbergh (E.-U., 2017, 1 h 59)
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