Dans les années 1960-1970, Nicolas Schöffer développe un art cybernétique. Au LAM, une expo retrace l’œuvre de ce précurseur génial et fantasque.
Dans le clip de sa chanson Contact écrite en 1968 par Serge Gainsbourg, Brigitte Bardot demandait, pétrifiée, qu’on lui “ôte sa combinaison spatiale” . Le spectateur s’y sentait prêt, sauf qu’il était perturbé par les halos de machines lumineuses, hélices et miroirs lui tournant autour, comme si le corps miroité de Bardot se perdait dans un théâtre d’ombres.
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Présenté dans l’exposition que le LAM consacre à Nicolas Schöffer (1912-1992), premier artiste directement inspiré de la cybernétique (fondée par le mathématicien Norbert Wiener), le clip fut tourné dans le décor futuriste imaginé par l’artiste pour le Voom-Voom, le club de Saint-Tropez où Paco Rabanne et André Courrèges aimaient faire défiler leurs mannequins.
Au sommet de sa gloire secrète avec cet écrin ultrapop, Nicolas Schöffer lança la même année le Lumino, une sorte de petite télé fabriquée par Philips dont l’écran irradiait d’arabesques chromatiques censées hypnotiser le spectateur. L’artiste avait eu aussi l’idée d’une émission de télé, Préparation au sommeil, dont les effets stroboscopiques devaient apaiser le regard (ce que Folon fera plus tard avec des personnages volants).
Une vraie sensualité sous un vernis mécanique
Cette “pensée audiovisuelle” dont il se réclamait se déploya toute sa vie dans de multiples médias, entre sculpture et architecture, musique et danse… Artiste synthétique autant que cybernétique, Schöffer créa des objets-sculptures qui dégageaient mystérieusement une vraie sensualité sous un vernis mécanique.
Dès 1948, inventant le “spatiodynamisme”, c’est-à-dire une “intégration constructive et dynamique de l’espace dans l’œuvre plastique”, il joue avec la lumière, le bruit, les effets de perception. Il travaille au début des années 1950 avec des architectes comme Claude Parent pour penser la “ville spatiodynamique”, avant de concevoir des sculptures vivantes – les Lux et Chronos – dont certaines, munies de moteurs et de capteurs auditifs, se déplacentdès qu’on tape dans les mains. La sculpture spatiodynamique est pour lui une “sculpture-spectacle”.
Au LAM, on est au cœur du sujet, en plein spectacle à satiété. Parfaitement documentée par le commissaire invité, Arnauld Pierre, grâce à des pièces issues de l’atelier et du fonds d’archives de l’artiste, l’exposition s’ajuste à ce tropisme spectaculaire en multipliant les effets de sidération. La dimension ludique de l’œuvre prend souvent une tournure féerique, surtout lorsque les objets prennent la forme de sculptures géantes, à l’image de sa Tour cybernétique installée à Liège en 1961 (toujours sur pied), qui succéda à sa Tour spatiodynamique, cybernétique et sonore érigée dans le parc de Saint-Cloud en 1955. En 1963, son projet de Tour lumière cybernétique pour le quartier de la Défense restera à l’état de maquette (son grand regret).
Un vrai artiste mystique
Rationnel et scientifique, Nicolas Schöffer n’en était pas moins un artiste farfelu et utopiste, à l’image de ses projets hallucinés – un centre de loisirs sexuels, une université verticale haute d’un kilomètre ou un centre de réflexion prismatique, aménagé dans le trou des Halles et pensé comme une “cathédrale œcuménique de la lumière”…
De l’art cybernétique à l’art vidéo, du spatiodynamisme à l’art cinétique, Nicolas Schöffer fut, outre un artiste pionnier dans son genre, un vrai artiste mystique, ajusté à l’esprit de son temps tout en cherchant à le devancer. Un peu oublié depuis les années 1980, son utopisme créatif est enfin redécouvert, comme la marque d’un art total aux effets rétiniens et neuronaux quasi prophétiques.
Nicolas Schöffer – Rétrospective Jusqu’au 20 mai, LAM, Villeneuve-d’Ascq
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