Sur « First Mind », premier album de folk hybride, l’Anglais Nick Mulvey accomplit de petits miracles sensibles. On n’a pas fini de l’entendre. Critique et écoute.
« Sur la plage, dans le sable, je recherche des sensations”, chantaient l’an passé les sympathiques Biarrots de La Femme. Plutôt que des sensations, c’est une forme de courage que le musicien anglais Nick Mulvey a trouvée lors d’un après-midi à la mer, il y a trois ans.
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A l’époque, le jeune homme, âgé d’à peine un quart de siècle, fait partie du collectif post-jazz latino Portico Quartet – il y joue notamment du hang, un instrument métallique qui ressemble à une soucoupe volante, voire à la réunion de deux woks, et qu’on utilise autant pour ses qualités de percussions que pour sa portée mélodique.
Ecrire un chapitre en solitaire
Avec son groupe, Mulvey a sorti deux albums, dont Knee-Deep in the North Sea, un premier disque qui a valu à ses auteurs une nomination au Mercury Prize. Ce jour-là, Nick Mulvey n’a pas les genoux dans la mer du Nord. Il est bien au sec, sur le sable d’une plage exotique, face à la mer des Caraïbes, au Honduras.
Depuis quelque temps, le musicien envisage de quitter le groupe sans jamais sauter le pas. Au milieu de personnes qu’il ne connaît pas, il décide alors de prendre sa guitare et enchaîne quelques morceaux. “Autour de moi, il n’y avait que des étrangers. Ça m’a décomplexé et m’a apporté la confiance qui me manquait pour me lancer.” La recette fonctionne : Mulvey y voit le signe qu’il est temps d’écrire un chapitre en solitaire.
Dans les mois qui suivent son départ de Portico Quartet, il se donne comme unique contrainte de jouer de la musique tous les jours. Seul sur scène, il assure les premières parties de Laura Mvula, Lianne La Havas ou Rodrigo y Gabriela. Surtout, il s’éloigne de son Angleterre natale à la découverte des musiques du monde au sens large. On le croise au Brésil, au Maghreb ou en Afrique du Sud, après un long séjour à Cuba dans le cadre de ses études à l’université de La Havane, où il avait étudié les arts et la musicologie.
Intégrer des sonorités étrangères
Pendant trois ans, Mulvey, épris des disques de Nick Drake, de Paul Simon et de John Martyn, fait tout pour élargir sa palette artistique en se plongeant volontairement dans les musiques dont il ne comprend pas les formats, dont il ignore l’histoire ou la genèse. Plus c’est différent, singulier, déroutant, plus il est heureux.
“Je me suis intéressé aux musiques congolaise, angolaise, nigériane. J’ai essayé de développer ma capacité à accepter et à comprendre les sonorités inhabituelles, étrangères. Ensuite, j’ai cherché un point commun, une liaison entre les genres musicaux. Par exemple, j’apprécie chez Philip Glass les mêmes choses que dans la musique africaine d’Ali Farka Touré ou Boubacar Traoré : la répétition, le côté hypnotique, la texture.”
Fruit de ces périples et découvertes musicales, First Mind, le premier album de Mulvey, est un disque à la fois hybride et cohérent. Au gré des voyages, le musicien semble avoir acquis une largesse d’esprit et une vraie souplesse : certains de ses morceaux reposent sur des structures répétitives héritées de Steve Reich, quand d’autres affichent une écriture directe et efficace. L’album, ainsi, contient ce qui pourrait être l’hymne folk imparable de 2014, taillé aussi bien pour les radios que les road-trips au soleil. La chanson se nomme Cucurucu, ce qui est déjà fort sympathique, et il faut avoir vendu son coeur sur eBay pour y demeurer insensible.
Construire un univers sans frontières
Comme son confrère Piers Faccini, à qui l’on pense souvent pour cette façon de parler avec la même aisance les langues de Nick Drake et de Toumani Diabaté, Mulvey agence des folk-songs sans frontières, vastes, souvent construites sur une succession de boucles (le magnifique Fever to the Form, Juramidam…).
Parce qu’elles sont plaisantes en surface, on aurait tort de ne voir en elles que des ballades faciles conçues pour feux de camp et musiciens en tongs. Elles savent aussi s’animer, s’embraser et donner lieu à des flammes olympiques (Ailsa Craig, Venus). De ces chansons, il dit : “Je pratique la méditation, j’essaie de trouver le silence en moi pour laisser la place aux chansons. Les chansons restent des choses mystérieuses, elles surgissent, viennent à nous comme si elles existaient indépendamment.”
Pour conclure, lorsqu’on lui demande ce qui, à ses oreilles, fait une bonne chanson, Mulvey propose en outre une définition savoureuse : “Une bonne chanson doit avoir la juste quantité de citron et la juste quantité de sucre.” Top chef.
Concert le 10 juin à Paris (Café de la Danse)
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