Protégés de Bernard Butler (Suede), les jeunes Anglais de Teleman livrent un des plus réjouissants disques pop de l’année. Rencontre, critique et écoute.
Qui se souvient de Pete And The Pirates ? Passé inaperçu de ce côté de la Manche, le groupe a signé il y a quelques années deux honorables disques de rock aux refrains efficaces et guitares bien aiguisées. En eux, on voyait des cousins sympathiques des Libertines, les frasques en moins. Dissous il y a deux ans, le groupe a donné naissance à un second, autrement plus passionnant. Nommé Teleman, le projet réunit quelques anciens pirates dont les deux frères Sanders.
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Une réincarnation élargie
Dans cette réincarnation, la formation a vu l’occasion d’élargir sa palette musicale, rangeant (un peu) ses guitares au placard pour évoluer vers une pop ample et radieuse. L’année dernière, on succombait ainsi au single Cristina, pop-song paradisiaque, ronde et langoureuse, rencontre improbable entre les Pixies, le Velvet Underground et les Beach Boys – le genre de chanson merveilleuse sur laquelle on ne tombe qu’une ou deux fois par an, et qui, aujourd’hui, ouvre un premier album intitulé Breakfast. Rencontré il y a quelques semaines dans sa ville de Londres, le groupe résumait ses intentions :
“On avait beaucoup appris de notre expérience avec Pete And The Pirates sur la façon de survivre en groupe, de gérer les ego, de faire évoluer le processus créatif. Teleman a été pour nous l’occasion d’ouvrir un nouveau chapitre, avec une autre identité, d’autres souhaits. Musicalement, on a eu envie de composer des chansons qui contiendraient de l’espace. Tout est si compressé, si dense aujourd’hui. On voulait aussi aller vers une écriture plus introspective et privilégier les éléments électroniques. On a profité de la quantité incroyable de matériel qui était à notre disposition en studio.”
Un ancien Suede en chef d’orchestre
Le matériel que le groupe évoque ici appartient à Bernard Butler : l’ancien membre de Suede, tombé sous le charme des jeunes garçons, a produit leur disque dans son studio londonien. Pendant toute l’année 2013, le groupe y a effectué des séjours réguliers, enregistrant ses morceaux sans la pression et le compte à rebours qui trop souvent accompagnent les sessions de studio chronométrées.
“On venait entre les déplacements, les tournées, sans régularité. Bernard a vraiment agi comme un chef d’orchestre. C’est un musicien capable d’aller à l’essentiel, de trancher. Il a une vision nette et précise de la musique, ce qui est d’une aide précieuse car on a tendance à se perdre dans des considérations artistiques…”
Parce qu’il fut l’un des meilleurs guitaristes du royaume, on aurait tort de croire que Butler a poussé ses protégés dans le sens du grattage de six-cordes : Breakfast repose au contraire sur les claviers. Batteur dans Pete And The Pirates, le jeune Jonny Sanders s’est ainsi fait pianiste pour Teleman, apprenant l’instrument seul, sans solfège ni discipline.
Une pop intellectuelle et orpheline
Comme chez Django Django ou Alt-J, le groupe semble d’ailleurs prendre un malin plaisir à expérimenter, essayer, bidouiller et se chercher sans cesse de nouveaux outils. On croisera ainsi sur Breakfast un sitar, des claviers mellotron et même un saxophone. “On a eu envie de crédibiliser cet instrument, explique-t-il pour évoquer Lady Low, ballade bowiesque jusque dans son titre. C’est important de rester ouvert, d’éviter les préjugés.”
L’érudition et la largesse d’esprit du groupe s’illustrent dans les goûts de chacun de ses membres. Ceux qui cherchent des lads ou des rebelles anglais prêts pour la baston peuvent passer leur chemin : Teleman appartient à une famille d’artistes pop intellectuels du royaume et se passionne pour, outre la musique, l’architecture et la gastronomie. En ce sens, le groupe semble descendre davantage de Franz Ferdinand, dont il a d’ailleurs assuré la première partie, que d’Oasis ou Kasabian.
Même sens mélodique (Monday Morning, In Your Fur), mêmes clips arty (Steam Train Girl), même concision pop (Skeleton Dance) et même capacité à conjuguer aussi bien au passé qu’au futur (23 Floors up) que chez Alex Kapranos et ses acolytes. Le groupe, pourtant, réfute tout lien de parenté.
“Nous n’avons ni héros ni modèles. Le champ des artistes qui nous ont influencés s’étend de Michael Jackson à Buddy Holly ou Blur.”
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