Un premier roman qui repousse un peu plus loin les limites de l’espace littéraire.
De Sven Hansen‑Løve, on connaissait jusqu’ici son parcours de jeune DJ pionnier de la French Touch, joliment mis en scène par sa sœur dans le film Eden. La dernière scène le montrait prenant des cours de création littéraire, et c’est en tant qu’auteur qu’on le retrouve avec ce premier roman. Qualité rare à l’ère du page turning, le livre prend le temps de poser les choses.
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Trente premières pages impeccables, pas un mot de trop, le romancier ayant la maturité, à 44 ans, de savoir que c’est en se concentrant sur les détails infimes, le quotidien anodin d’un jeune homme lambda, que l’on peut rendre compte de la singularité d’une vie, d’un destin.
Quelque chose commence dès lors à se déployer, à s’immiscer, comme un plan qui s’ouvrirait vers une diagonale, par‑delà l’intrigue façon polar du roman. Les musiques électroniques ont cette capacité à repousser, toujours plus loin, les limites auditives ou spatiales (Phil Spector passa une vie à tenter de dépasser le “mur du son”). Quand cela se traduit en littérature, le résultat est exaltant.
Le silence de Sibelius, les stratégies obliques d’Eno
Revenons à l’intrigue. Raphaël Thiolet, 27 ans, un solitaire passionné de littérature, est pris en filature par un inconnu, un beau jour, dans une rue de Paris. Pourquoi donc ?, se demande le garçon, qui ne présente a priori aucun intérêt pour qui que ce soit. Changeant la donne, il piste à son tour le traqueur.
Quelques semaines plus tard, alors qu’il galère pour trouver un boulot, un employé de la mystérieuse société Eo Ipso laisse sa carte de visite. Le traqueur aura repéré l’un des siens : Raphaël sera embauché comme espion professionnel, à la solde de clients fortunés.
Si le narrateur se questionne à ses heures perdues sur Sibelius, son silence, son choix d’arrêter de composer (“Ce silence est de ceux qui interrogèrent et marquèrent les esprits, comme le silence devenu iconique de Rimbaud ou de J. D. Salinger”), c’est à Brian Eno que l’on pense surtout.
Eno qu’Hansen‑Løve cite d’ailleurs en exergue : “In total darkness or in a very large room, very quietly”, paroles tirées d’Oblique Strategies, qu’on pourrait traduire par : “Dans le noir total, ou dans une très grande pièce, très tranquillement.” De la littérature à la musique, et vice versa. Des questions d’espace, de rythme et d’atmosphère. Yann Perreau
Un emploi sur mesure (Seuil), 368 p., 19,50 €
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