Cette avocate californienne défend les femmes victimes de harcèlement sexuel depuis plus de 40 ans. Son travail trouve une nouvelle résonance avec le mouvement #MeToo et le sursaut féministe contre Donald Trump.
« Les femmes ont un utérus et un cerveau et les deux fonctionnent. » C’est sur ces mots que Gloria Allred apparaît pour la première fois dans Seeing Allred, le documentaire Netflix sorti en février qui lui est consacré. L’archive de 1977 montre la jeune avocate réagir aux propos sexistes de la présentatrice télé Dinah Shore. Un an plus tôt, en 1976, elle a fondé avec deux associés, le cabinet Allred Maroko & Goldberg qui deviendra le cabinet de référence sur les questions de harcèlement sexuel et de viol.
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Gloria Allred a beaucoup d’autres séquences télé à son actif. Brushing impeccable, tenues rouges (« all red« ) et regard combatif, l’avocate californienne de 76 ans est spécialiste des affaires à grands bruits incriminant des hommes puissants tels que Roman Polanski ou Arnold Schwarzenegger. Elle défend également 33 des 50 femmes qui accusent l’humoriste Bill Cosby, ainsi qu’une des victimes restées anonymes d’Harvey Weinstein.
En janvier 2017, trois jours avant l’investiture de Donald Trump, elle entame une action en justice pour diffamation contre le président qui nie les accusations de « comportements sexuellement abusifs » de Summer Zervos, une ancienne candidate de télé-réalité.
« Faire des femmes victimes des survivantes »
« Je veux transformer les femmes victimes en survivantes« , assume-t-elle par téléphone aux Inrockuptibles. Un but qui trouve écho dans sa propre histoire. Dans les années 1960, Gloria Allred est violée au Mexique, par un médecin qu’elle rencontre pendant un voyage à Acapulco. Il lui propose de dîner un soir et prétexte qu’ils doivent repasser chez lui, avant de la menacer avec une arme. Elle tombe enceinte et décide de procéder à un avortement qui a « failli la tuer« , explique-t-elle.
» C’était avant Roe v. Wade [la décision de la Cour suprême qui autorisa l’avortement en 1973, ndlr.], donc c’était clandestin. J’ai fait une hémorragie. Je suis allée à l’hôpital, ils m’ont mise dans la glace. L’infirmière m’a dit : ‘ça te donnera une leçon’. «
Mais elle refuse de réduire sa vocation à ce traumatisme. « Toutes mes expériences sont à prendre en compte. Ce qui est certain, c’est que j’ai finalement très peu appris sur les femmes à l’université ou pendant mes études de droit… Il faut commencer par se nourrir de la rue. »
Mère célibataire
Pas grand chose ne prédisposait Gloria Allred à devenir cette femme médiatique. Issue d’une famille ouvrière juive de Philadelphie, son père était vendeur de porte-à-porte. Sa mère, anglaise d’origine, femme au foyer.
« Elle a été une source d’inspiration, ça c’est sûr« , explique Gloria Allred:
» C’était une femme très curieuse. Passionnée par l’histoire ouvrière. Elle voulait que je fasse carrière et que je ne dépende pas d’un mari, ce qui n’était pas la norme dans les années 1960… Il y avait aussi ma cousine, la première femme chirurgienne cardiologue pour enfants à Philadelphie. Elle était passionnée par sa carrière. C’était la seule femme que je connaissais qui n’était pas mariée, qui ne voulait pas l’être ! «
Gloria Allred fait ses études d’anglais à l’université de Pennsylvanie où elle rencontre son premier mari Peyton Brey, avec qui elle aura en 1961 son unique enfant, Lisa Bloom. Elle divorce rapidement à cause des troubles bipolaires de son mari et entreprend une vie de mère célibataire. « Une période difficile« , se souvient-elle.
A cette époque, Gloria gagne sa vie comme professeur au lycée Benjamin Franklin, un lycée de garçons afro-américains, où elle apprécie beaucoup ses élèves. Elle écrit parallèlement une thèse à l’université de New York sur la littérature noire américaine. Elle choisit James Baldwin, Ralph Ellison et Alex Haley, défiant son professeur qui ne juge pas le sujet digne d’intérêt. Cette thèse lui vaudra pourtant les honneurs.
« Tapageuse et égoïste » ?
Après être partie vivre à Los Angeles, Gloria a repris sur le tard des études de droit. Sa première affaire médiatique remonte à 1979. Elle poursuit, sur la demande de parents, une chaîne de pharmacie pour faire interdire ses allées étiquetées « jouets pour garçons » et « jouets pour filles« . Suivront beaucoup d’autres affaires, certaines non-médiatisées, comme sa défense d’ouvrières agricoles en 2008. Et d’autres très médiatiques, telle que sa défense de deux couples lesbiens qui a débouché sur la légalisation du mariage gay en Californie en 2008.
Ses adversaires juridiques et ses détracteurs, souvent républicains, accusent Gloria Allred d’être une avocate « égoïste », au style tapageur, qui « adore » la caméra. Adepte des conférences de presse théâtralisées, elle a souvent un paquet de mouchoirs à portée de main pour ses clientes.
« C’est un personnage qui ne pourrait pas du tout avoir un équivalent français par exemple », commente Maître Emmanuel Daoud, un avocat qui représentait une association d’aide aux prostitués dans le procès du Carlton.
» En France, on ne peut pas se montrer aussi agressif, on ne peut pas aller aussi loin dans la formulation de l’accusation. On met plus de précaution oratoire car on est plus attaché à la présomption d’innocence. «
« Encourager les femmes à parler »
Gloria Allred balaie ces accusations. Elle assure faire attention à toujours se placer sous l’égide du droit et de ses spécificités, le harcèlement sexuel désignant par exemple une action « sévère et/ou répétée« . C’est notamment pourquoi elle juge la récente lettre ouverte sur la « liberté d’importuner« signée entre autres par Catherine Deneuve et Catherine Millet, « beaucoup trop générale et très confuse » :
» Je n’ai jamais vu un homme contraint de démissionner pour avoir touché le genou de quelqu’un ou tenté de voler un baiser. Il faudrait leur demander le nom de la personne qui a perdu son emploi pour de tels faits ? De mon point de vue, ce texte est très gênant car il donne l’idée que c’est mal qu’il y ait des limites. Ce genre de propos intimide les femmes et ne les incite pas à parler. «
Gloria attend aujourd’hui de savoir si le tribunal va valider la requête du président Trump contre son action en justice, lui permettant ou non de la poursuivre. Si les médias sont un levier puissant pour ses affaires, elle entend bien les mener jusqu’aux salles d’audience.
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