Dans une île d’Haïti lessivée par la crise et le tremblement de terre, le groupe Boulpik continue de faire danser. Acoustique, roots et voluptueux : le son d’un été sous les ventilos.
Ces dix dernières années, l’île d’Haïti a vu disparaître peu à peu de son paysage festif la plupart des troubadours égayant comices agricoles, fêtes patronales et autres réjouissances cycliques des campagnes. En langue créole brute de terroir, Franckel Sifranc, leader de Boulpik, tente de nous faire comprendre que la crise économique et le tremblement de terre de 2010 ont été fatals à beaucoup de ces musiciens qui vivaient de la générosité d’autrui, avant de se retrouver au chômage une fois la manne touristique tarie.
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Une réalité pas franchement caressante
Un sourire pétillant de malice de ce juvénile quinqua nous éclaire aussitôt sur les raisons faisant qu’il est aujourd’hui l’un des rares du genre encore en activité. C’est à ce charme qu’a dû succomber le producteur José Da Silva, connu pour avoir révélé au monde entier la diva cap-verdienne Cesária Evora après l’avoir découverte dans un bar de Mindelo. Cette fois, le flash s’est produit dans le patio de l’hôtel Plaza de Port-au- Prince où, il y a deux ans, “Monsieur José” est tombé sur Boulpik, sextet de compas fondé par le jovial Franckel en 2004. Cet aperçu fut à l’évidence suffisamment convaincant pour envisager un album aujourd’hui disponible sur son label Lusafrica.
Aux côtés du Franckel dit “mayestro”, il y a le chanteur Patrick Jean dit “Ti Gito”, le banjoïste Jean Onel Joly dit “Ti Gita” ou encore le joueur de marimbula Yonel Mortimé dit “Jiraf”. Si vous pensez qu’à lui seul l’énoncé de cet ensemble constitue un savoureux décrochage, imaginez ce qu’il en est de cette musique, frétillante, onctueuse, véritable entourloupe polyrythmée ourdie pour échapper aux mâchoires d’une réalité pas franchement caressante.
Une innocence perdue
Depuis sa popularisation dans les années 50, le compas haïtien a connu bien des transformations, jusqu’à atteindre le stade critique du konpa digital sous la férule de Top Vice dans les années 80. Or, après la redécouverte du mento en Jamaïque ou du gwoka en Guadeloupe, la percée de Boulpik confirme ce revirement caribéen en faveur d’une approche plus acoustique et enracinée de la musique, expression dispersée d’un désir de retrouver une même innocence perdue.
Banjo et marimbula (grosse caisse avec lamelles) ne sont pas sans évoquer le dispositif propre au mento. De même que les cadences utilisées par le groupe mettent au jour le lien unissant entre eux les éléments de cette chatoyante mosaïque culturelle de laquelle le konpa lakay (“compas sfait maison”) de Boulpik émerge, par sa contagieuse bonne humeur et cette langue créole à la déroutante familiarité.
Pittoresque ? Folklorique ? Oui mais pas au sens où la lecture d’un dépliant touristique l’insinue. Boulpik a beau servir de fond sonore le soir venu dans les salons d’hôtels de luxe où les nantis viennent savourer leur crémasse sous le raphia des pales de ventilos, ils n’en conçoivent pas moins leur activité avec l’exigence de véritables artistes, racontant des histoires tragi-comiques, comme celle de Twa Zan, où l’ami Franckel fait le récit de son expérience du cyclone Allen, l’un des pires jamais essuyé par l’île.
Plus révélatrices sont Nèg Dafrik et Souvenir d’Afrique, célébrant cet attachement mystique à un continent dont beaucoup d’Haïtiens se savent les enfants perdus, et dont ils ressassent la parenté dans le secret espoir, ou la sourde certitude, qu’un jour, la mort venue et le vaudou aidant, viendra le temps du retour. En attendant, au diable la tristesse et vive le compas.
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