Xi Jinping a fait part de son souhait de supprimer la loi interdisant à un chef de l’État chinois de cumuler plus de deux mandats. Une annonce qui inquiète, tant les conséquences sont difficiles à prévoir.
C’est une modification de la Constitution chinoise qui pourrait bien changer… le cours de l’histoire. Le 25 février dernier, Xi Jinping a fait part de son intention au comité central du PSS (équivalent du parlement) de supprimer la loi interdisant à un chef de l’État chinois de cumuler plus de deux mandats. Ainsi, il pourrait régner sur le pays jusqu’à sa mort. Une perspective qui semble relativement bien accueillie par le peuple chinois (selon les médias locaux), mais qui présente de nombreux risques.
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Si jusqu’à présent le régime autoritaire en place s’est révélé prospère depuis sa prise de fonction en 2013, il rompt désormais avec les traditions fondées sur le collectif, au profit d’une incarnation personnelle et individuelle du pouvoir. Un « gage de stabilité » pour la presse chinoise, qui inquiète les puissances occidentales. Le tout dans un climat où la dissidence et les contestations n’ont pas vraiment leur place, comme l’explique Mary-Françoise Renard, professeure à l’Université d’Auvergne et responsable de l’Institut de Recherche sur l’économie de la Chine.
Quelles conséquences sont à prévoir si Xi Jinping arrive à supprimer la loi interdisant de cumuler plus de deux mandats à la tête de l’État chinois ?
Mary- Françoise Renard – La Constitution va être modifiée. Ce n’est pas complètement une surprise en soit, puisqu’il n’avait pas annoncé de successeur en octobre dernier lors du congrès du Parti communiste, et que cette hypothèse avait rapidement été évoquée sur place. La véritable crainte est que Xi Jinping soit tenté par une présidence à vie. C’est d’autant plus inquiétant, car la Chine avait acquis une certaine forme de stabilité ses dernières années. Cette annonce peut générer une nouvelle opposition, et faire entrer la Chine dans un modèle de transition politique qui ne sera plus assez souple. Au sein du parti même, Xi Jinping a déjà fait le vide. Il y a eu des oppositions internes, mais sous couvert de lutte anti-corruption, les voix dissonantes ont été mises au placard.
Est-ce un gage de stabilité (comme l’évoque la presse chinoise) ou cela va-t-il encore dégrader les relations avec les puissances occidentales ?
La stabilité, c’est le discours officiel. Il affirme qu’il ne sera pas forcément président à vie, etc. C’est avant tout un discours politique pour rassurer. Pourtant, cela peut compliquer les relations avec l’étranger. Cette démarche offre au monde une vision « agressive » de la Chine. Le système politique chinois est extrêmement opaque vu de l’extérieur. Il garantissait une forme de stabilité et institutionnalisait la transition jusqu’à présent. Il n’y a eu que des transitions douces depuis 1978, ce qui a permis d’instaurer un dialogue avec l’Occident. Là, c’est une mesure plus autoritaire. Cela peut être mal perçu, d’autant plus que les pays occidentaux ont une véritable méconnaissance de la Chine. Notamment aux États-Unis, où l’on risque de voir ressurgir des comportement anti-chinois. Ainsi que des vieux problèmes.
Au point d’envisager un conflit militaire ?
À court terme, je ne suis pas sûre qu’il puisse y avoir un véritable conflit armé. Comme il le martèle, Xi Jinping a d’autres moyens d’agir avant d’entamer une action militaire. Il veut surtout intervenir sur le droit international, et souhaite qu’on adopte plus de normes chinoises dans les traités. Il essaie d’influencer les institutions, et la Chine en a d’ailleurs créé elle-même. Les entreprises chinoises développent les investissements internationaux. Militairement, ils sont encore très loin des États-Unis. Xi Jinping a toujours défendu le multilatéralisme, et il est bien conscient des rapports de force. Dans la mer de Chine, il aimerait reprendre le pouvoir des USA. La rivalité avec les États-Unis a été exacerbée par la présidence de Donald Trump. Mais c’est une politique très graduelle, qui nécessitera du temps.
Peut-on établir un parallèle avec la situation russe ? Xi Jinping prend-il exemple sur Vladimir Poutine ?
Depuis Tianan’men et la chute du Mur de Berlin, il y a une obsession des dirigeants chinois pour la chute de l’URSS. Xi Jinping veut tout faire pour garder le contrôle et accroître son pouvoir, à l’image de ce que fait Vladimir Poutine en Russie. Il y a une réelle proximité de comportement entre les deux. La génération de Xi Jinping a connu la révolution culturelle et les troubles qu’elle a jetés sur le pays. Il considère qu’il doit y avoir un pouvoir autoritaire, c’est une nécessité. Et pour cela, il rappelle constamment qu’il ne faut pas s’imprégner des valeurs étrangères, comme le hip-hop par exemple. De son point de vue, il reprend véritablement la société en main.
Le pays peut-il devenir la première puissance mondiale (devant les États-Unis) ?
Il s’agit avant tout d’une ambition nourrie par la Chine, pour la Chine. C’est un pays extrêmement nationaliste, et Xi Jinping veut redonner au pays la place qu’il considère comme étant la sienne. Ils n’ont pas oublié les traités du XIXe siècle peu avantageux, qu’ils considèrent comme une humiliation. La Chine veut avoir un rôle dominant dans l’économie mondiale, mais veut surtout de l’influence. Le modèle chinois veut imposer d’autres normes que celles des Américains et des Occidentaux. Une ambition qui passent par les intellectuels, qui se doivent de diffuser un maximum leur propre culture et promouvoir les normes chinoises dans le monde entier. L’Occident ne connaît pas assez la Chine, il y a une certaine naïveté vis à vis de ce pays. Il faut que les chefs d’État s’y rendent plus régulièrement, et fixent de réelles conditions lors des négociations.
Quels avantages peut offrir ce régime autoritaire aux citoyens ?
Il est assez difficile de savoir, vu que l’opposition ne peut pas s’exprimer. Il n’y a pas vraiment d’informations à proprement parler mais plus de la propagande. Tous les médias appartiennent à l’État et sont extrêmement contrôlés. Il y a cependant une partie de la population qui peut croire qu’il y aura plus de réforme, plus de la stabilité et qui apprécie un président qui soutient le rayonnement de la Chine. Mais dans un premier temps ce sera difficile : les gens vont accepter de dire « oui » à tout. Dans la tradition chinoise, le pouvoir se doit de ne pas être limité. Des patrons de grandes entreprises pourraient réclamer une forme d’indépendance; il n’en est pas question en Chine. Mais on ne peut pas encore savoir comment l’opposition va réagir. Ni même les proches de Xi Jinping.
Au vu de sa complexité et de son passé, le modèle chinois ne semble pas transposable dans d’autres pays. Mais peut-il pour autant servir « d’inspiration » à d’autres régimes autoritaires dans le monde ?
Cela va justifier des dictatures dans d’autres régimes, qui vont expliquer faire comme la Chine. Les pays en voie de développement, qui ne veulent pas de la démocratie mais qui souhaitent sortir de la grande pauvreté, peuvent penser que ce modèle représente une solution. Il est important de mesurer l’impact des investissements chinois, qui rachètent de grandes entreprises partout dans le monde. Par contre, les réseaux sociaux sont totalement contrôlés, maintenant qu’il y a eu l’interdiction VPN (réseau privé virtuel, ndlr). Il y a également un durcissement des contrôles, beaucoup de vidéo-surveillance. Un système de « scoring » (crédit social), a été mis en place. Il note les citoyens en fonction de leur participation à des manifestations, ou au contraire à des actes civiques. Pour les récompenser, ou à l’inverse les punir.
Peut-on considérer la Chine comme une dictature ?
Régime autoritaire ou dictature, on peut jouer sur les mots. Ce n’est en tout cas pas une « dictature aveugle ». La vérité, c’est que le système chinois se durcit depuis quelques mois. Mais Xi Jinping n’a pas forcément la posture typique d’un dictateur comme dans d’autres pays. Il ne faut pas oublier qu’il a été favorisé, c’est un fils de prince. Jusqu’à maintenant, il s’est toujours montré plus autoritaire que ses prédécesseurs. Là, il adopte un comportement qui le rapproche encore plus d’une dictature. Pour lui, si on laisse sortir un dissident, c’est la porte ouverte à l’encouragement des critiques. Contrairement aux idées reçues, il y a eu beaucoup de contestation et de manifestation en Chine ces dernières années. Tant que cela ne remet pas en cause le parti. Tous les syndicats appartiennent au Parti communiste, mais il existe tout de même des moyens d’exprimer un mécontentement.
Alors que le modèle chinois est fondé sur le « collectif », l’annonce de Xi Jinping renforce d’avantage l’idée d’une personnification du pouvoir. Mais lorsqu’il est incarné par une seule personne, n’est-ce pas -historiquement- un signe de déclin pour un gouvernement ?
L’aspect collectif était lié à Mao. Il avait une vision théorique intellectuelle de ce qu’il voulait faire du système chinois, imprégnée de marxisme. Xi Jinping est un pragmatique, pas un théoricien du système. Il a réussi à unifier la Chine et en a fait un pays rassemblé. Mais effectivement, ce n’est pas un très bon signe d’avoir un dirigeant qui veut tous les pouvoirs. D’autant plus quand il les a.
La Chine est-elle toujours un régime communiste ?
Communiste, certainement pas. Socialiste, si on fie aux fondements, non plus. Mais c’est une situation complexe. Ce n’est pas une économie de marché à proprement parler. Après, tout dépend des critères. Si on regarde le rôle de l’État sur l’appareil privé, il reste dominant sur les secteurs privés (dont les médias). Le gouvernement garde un poids important. Il n’y a pas derrière une idée de collectif, de ce qui devait amener à la disparition des bourgeois et de l’État ; ce n’est pas du marxisme. Si on prend la vision française, d’avantage fondée sur la politique sociale, il y a une amélioration. On note une diminution des égalités sociales, puisque la Chine doit développer sa consommation. Mais un gouvernement qui n’est pas élu peut avoir un jour où l’autre une opposition. Il se doit d’être légitime. Sinon, il y aura toujours un risque.
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