Un luxueux coffret fête les 35 ans du seul album des Sex Pistols : une bombe dont on mesure encore la déflagration et la perversité. Critique.
Cette réédition du seul projectile jamais tiré par les Pistols contient une vraie trouvaille : la demo originale de Belsen Was a Gas datant de septembre 1977, dénichée par hasard dans les archives de la maison Virgin. Cette espièglerie, qui ironise sur les activités du camp nazi de Bergen- Belsen pendant la guerre en jouant sur la polysémie du terme anglais “gas” (le “gaz” d’extermination mais aussi en langage courant le “pied” que l’on prend), n’eut pas loisir de faire polémique en son temps, le groupe s’étant dissous avant qu’elle ne soit éditée (en live). On y entend un Johnny Rotten outrageant avec force gargouillis, non pas les morts, mais ce respect de façade qui leur est dû, dans une Angleterre préthatchérienne rongée par l’hypocrisie, le racisme et le mépris de classe. Comme si après avoir insulté la reine dans God Save the Queen (“une connasse”) l’heure n’était plus à montrer son cul mais à se le torcher allègrement avec l’histoire et ce qu’elle prétend nous enseigner. Et de tirer la chasse.
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Jamais groupe de rock n’avait signifié avec une telle férocité sa haine du vieux monde, ne l’avait fait entendre avec cet abandon, cette liberté terrifiante, cette tyrannie. On ne trouve nulle part dans l’histoire de cette musique, pourtant bien fournie en forcenés, un flagrant délit de rage atteignant une telle plénitude. C’est simple : comparée à celle des Pistols, la version originale de No Fun par les Stooges semble pusillanime.
Si le CD 1 de cette nouvelle édition s’en tient à une version remasterisée de l’album original, le CD 2 fait quant à lui un incroyable inventaire de raretés et demos (une trentaine en tout, certaines tirées du fameux bootleg Spunk) où l’on assiste à la naissance non pas d’une énième rock-star mais bien d’un monstre aux cheveux rouges. Comme si nous étions en présence d’un remake d’une scène de L’Exorciste, quand la maman monte dans la chambre de sa fille pour y découvrir, à la place du cher ange issu de sa chair, cette goule cauchemardesque qui vomit bile fétide et insanités blasphématoires en girant de la tête. C’est ainsi que l’Angleterre, sûre de sa bienséance, de son héritage puritain, se réveilla un beau matin de 1977 avec “ça” sous son toit.
Ça, c’est John Lydon, gentil gamin au demeurant, bien qu’ayant fait à 10 ans une grave méningite à force de jouer dans un tas de sable infesté de rats, soudain métamorphosé en ce démon contaminant toute la saine jeunesse du pays. John Lydon devenu Johnny Rotten, le pourri !
Sauf qu’en réalité, l’exorcisme, c’est lui qui le pratiquera avec sa bande de musiciens improvisés, portés par ce hard-rock de hooligans (Steve Jones : grand guitariste !), lavant des siècles d’affront, renvoyant ce mépris constitutif d’un monde de castes à ses expéditeurs, vengeant des générations de jeunes gens marqués par la culture du châtiment corporel et du joug normand ! “Les Pistols ! Une rigolade !”, entendait-on à l’époque. “Un coup de fric !” Une bombe, oui, aujourd’hui réamorcée pour le fun, avec un troisième CD où figurent deux bons concerts scandinaves et un DVD doté d’images de la fameuse “party” sur la Tamise pour le jubilée de la reine, le 7 juillet 1977.
Pour le fun donc, et pour une forme de nostalgie paradoxale, les rares privilégiés (dont votre serviteur) ayant assisté à ce fiasco devenu légende ne pouvant oublier combien ce groupe-là sut imposer la supériorité du présent au culte du passé – et faire du rock une histoire neuve et ravageuse.
Coffret Never Mind the Bollocks Here’s The Sex Pistols (3 CD + DVD)
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color:black »> NB : La photographie qui illustrait initialement
l’article « Sex Pistols : Dynamite in the UK » publié le 11 octobre 2012 sur
notre site, est l’œuvre de Dennis Morris. Les Inrocks présente ses excuses au
photographe qui nous l’a signalé le 6 janvier2020 et à ses lecteurs pour
l’omission de la mention de sa signature
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