Lancé en 1950 par des cathos de gauche, Télérama a su évoluer. Fort de son exigence éditoriale, tour à tour populaire ou plus pointu, l’hebdo est pourtant confronté au vieillissement de son lectorat.
Dans un monde de la presse en plein bouleversement, Télérama affiche fièrement ses 60 ans. L’hebdomadaire prouve que le destin d’un journal ne s’arrête pas aux diktats éphémères des époques, mais qu’il doit son âge avancé à ses engagements et valeurs.
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Créé en 1950 par des résistants et des dominicains, porté par un souci de pédagogie culturelle issu d’un humanisme d’après-guerre, Télérama est resté fidèle à ses fondations tout en s’en émancipant. Si, pour certains, le journal reste marqué par le code génétique “catho de gauche”, personne ne peut nier qu’il a mis beaucoup d’eau pétillante dans son vin de messe.
Comme d’autres, l’hebdomadaire ne peut échapper aux clichés paresseux, quand bien même les exemples consignés dans une anthologie en deux tomes et dans un numéro spécial sur les ruptures esthétiques des décennies passées – de Beckett aux Soprano, de Planchon à Pina Bausch – apportent les preuves de son ouverture d’esprit.
Le journal revendique sa sévérité
Télérama assume un héritage intellectuel fondateur à partir duquel tout est possible, y compris de proférer sa (mauvaise) foi, son esprit caustique et la méchanceté d’une plume trempée dans le venin critique. Plutôt que la charité, le journal revendique sa sévérité, plutôt que la mollesse consensuelle, il défend un regard aiguisé construit sur une attente exigeante.
Fabienne Pascaud, directrice de la rédaction depuis 2006, et critique de théâtre depuis trente ans au sein du journal, l’affirme :
“Je suis fière d’avoir résisté ces dernières années à l’affadissement général, d’avoir respecté les valeurs du journal, sans concessions, d’avoir refusé les couvertures racoleuses, d’avoir maintenu l’élégance de la forme, de ne jamais avoir baissé la garde.”
Si elle admet que l’image un peu austère du titre peut le desservir, elle sait aussi que seule une sincère “utopie du partage” anime ses équipes. D’où le souci de raconter le monde par toutes les voies possibles (la vie des idées, les grands reportages…), de se faire l’écho vibrant de la création, de la plus académique à la plus avant-gardiste, de réagir aux polémiques qui parsèment l’actualité (rubrique “A suivre”).
Difficile d’élargir les horizons du journal
Mais l’éclectisme, sa marque de fabrique, n’est pas toujours un gage d’originalité : à vouloir plaire à tout le monde, la saveur s’étiole parfois. Fabienne Pascaud estime d’ailleurs que “les jeunes journalistes d’aujourd’hui sont encore plus attachés que les anciens à une vision pure et dure de leur journal”.
“J’aimerais élargir les horizons du journal, mais je constate que c’est difficile : lorsque j’ai défendu la couverture avec Mimie Mathy, toute la rédaction était contre moi” (rires).
Entre “distinction” culturelle et souci de saisir les enjeux de la culture populaire, Télérama réussit le tour de force de rassembler chaque semaine 630 000 lecteurs, dont 530000 abonnés. Mais l’hebdomadaire doit aujourd’hui reconquérir un lectorat plus jeune : le lecteur moyen a 47 ans.
De plus, le rachat du groupe Le Monde, dont Télérama fait partie depuis 2003, par Pierre Bergé, Xavier Niel et Mathieu Pigasse (ce dernier est propriétaire des Inrockuptibles) soulève pour le moins des questions dans une rédaction forte de 150 salariés…
Télérama, 60 ans de Nicolas Delesalle (Editions Les Arènes, 2 tomes, 276 p., 34,50 € chacun). Numéro spécial en kiosque cette semaine.
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