Un projet de loi pourrait bientôt obliger les otages à rembourser les frais liés à leur libération. Faute d’un texte clair, les journalistes se sentent visés par une telle initiative.
Imaginons : un Français en vadrouille dans un pays poussiéreux est soudainement pris en otage. Les autorités françaises en alerte déploient de coûteux moyens pour récupérer leur compatriote. Imaginons encore : un désormais ex-otage… obligé de rembourser sa libération à l’Etat. C’est ce qui pourrait arriver si le projet de loi relatif à l’action extérieure de l’Etat, présenté aujourd’hui à l’Assemblée Nationale, était voté par les députés.
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A l’article 13 du texte déjà adopté discrètement par le Sénat en mai dernier, il est précisé que l’Etat peut « exiger le remboursement de tout ou partie des dépenses qu’il a engagé à l’occasion d’opérations de secours à l’étranger au bénéfice de personnes s’étant délibérément exposées sans motif légitime tiré notamment de leur situation professionnelle ou d’une situation professionnelle d’urgence , à des risques qu’elles ne pouvaient ignorer ».
En clair, un touriste pris en otage puis libéré devrait prendre en charge, a posteriori, le coût logistique de sa libération (le paiement d’une éventuelle rançon restant aux frais de l’Etat).
Les journalistes concernés ?
En début d’année, Nicolas Sarkozy s’était offusqué du « coût considérable« de l’opération montée pour la libération des deux journalistes de France 3 retenus prisonniers en Afghanistan depuis le 30 décembre dernier. Le chef d’état-major des armées, Jean-Louis Georgelin, parlait en février d’une opération estimée à au moins 10 millions d’euros.
Le président de la République avait même stigmatisé « l’imprudence coupable » des deux reporters. A l’époque, ces déclarations avaient provoqué le courroux d’une grande partie de la presse.
La présentation du projet de loi pourrait donc apparaître comme la réponse du gouvernement à « l’imprudence coupable » de certains journalistes.
Flou autour du « motif légitime »
Qui vise ce projet rédigé par les services du ministère des Affaires étrangères ? Dans le texte, les personnes ayant un « motif légitime » pour se rendre dans une zone dite à risque ne sont pas concernées. Problème, la nature de ce « motif légitime » n’est pas précisée.
Les personnes susceptibles de se rendre dans des régions où les prises d’otages sont fréquentes comme les journalistes, les humanitaires ou bien les chercheurs ne sont donc pas explicitement écartées du champ d’action du projet de loi et peuvent donc tomber sous sa coupe. Une hypothèse qui provoque aujourd’hui une levée de boucliers.
Pour Dominique Pradalié, membre du Syndicat national des journalistes (SNJ), « ce texte est tout bonnement scandaleux pour la profession. Si on n’écarte pas clairement les journalistes de ce projet, plus aucune rédaction ne va vouloir envoyer des reporters sur les zones de conflits. C’est une vraie menace pour la liberté d’expression et d’information. »
Un discours dont un député socialiste se fait aujourd’hui l’écho. Hervé Féron, député de Meurthe-et-Moselle, vient de déposer un amendement (repoussé une première fois au Sénat) pour exclure du projet de loi les journalistes mais aussi les humanitaires, les chercheurs et les universitaires.
« Tout est flou dans ce texte », souligne le parlementaire, « on ne sait pas ce qu’est un motif légitime. Et puis, depuis quand vivons-nous dans une démocratie où, par exemple, la presse devrait apporter des preuves pour justifier ses activités ? Va-ton demander à un journaliste libéré s’il avait un vrai motif avant de le rapatrier ? Ce projet de loi est indécent. »
Les touristes à l’amende
Du côté du Quai d’Orsay, on se contente d’indiquer que la loi concernerait en premier lieu les touristes. Pour ce qui est des journalistes ou encore des membres d’ONG, le porte-parole renvoie aux récentes déclarations de Bernard Kouchner :
« le motif légitime est une réserve susceptible de préserver le cas des journalistes intervenant en zone de crises et au nom de la liberté d’information et, bien sûr, les volontaires humanitaires. »
Des déclarations insuffisantes, selon Hervé Féron, pour qui « cette idée doit être précisément mentionnée dans le projet de loi sous peine d’être mise de côté ».
Pourtant, le député socialiste ne se fait pas d’illusions : le texte devrait être voté. « Nous étions à peine quinze dans l’hémicycle cet après-midi, dont une grosse majorité de députés de droite qui m’ont copieusement sifflé. » Que faire alors si le texte passe ? Réponse de Dominique Pradalié, du SNJ : « Nous devons tout faire pour sauvegarder la liberté d’informer. Il faudra voir si ce projet de loi n’est pas anticonstitutionnel. »
A ce jour, on ne connaît que cinq Français retenus en otage à l’étranger. Il s’agit des journalistes de France 3 Hervé Ghesquières et Stéphane Taponier, enlevés en Afghanistan en décembre ; de l’agent de la DGSE Denis Allex, retenu en Somalie depuis juillet ; de Michel Germaneau, prisonnier au Mali depuis avril dernier et du soldat franco-israélien Gilad Shalit détenu par le Hamas depuis juin 2006.
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