La chanteuse Malia enregistre un magnifique
album hommage à Nina Simone. Plus qu’un exercice de style, les chansons d’une vie. Critique et écoute.
« Elle ne connaît pas sa beauté/ Elle pense que son corps brun n’a aucune gloire/Si elle pouvait danser nue sous les palmiers, elle saurait/Mais il n’y a pas de palmiers dans la rue et l’eau de vaisselle ne renvoie pas les images.” Bizarrement, cette chanson de Nina Simone, Images, ne figure pas au programme de Black Orchid, recueil que Malia vient de consacrer à la diva américaine décédée en 2003. Elle n’aurait pourtant pas détonné dans la sélection tant cette “image”-là, celle d’une enfant noire en quête d’estime d’elle-même, lui ressemble.
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Black Orchid n’est pas exactement un tribute album comme les autres. C’est plus qu’un énième hommage rendu à une immense artiste dont l’aura n’a cessé de croître depuis sa disparition. Ce disque est avant tout, pour la chanteuse originaire du Malawi, une autre manière de se raconter.
“Evidemment, Nina Simone était une grande musicienne, précise Malia. Mais ce qu’elle m’a donné va bien au-delà. Elle m’a donné confiance en moi-même, elle m’a donné envie de me battre. Elle fut avant tout un guide spirituel. Je crois que pour moi la question de faire un album de reprises de ses chansons ne s’est même pas posée. C’est venu naturellement. Il s’agissait d’exorciser une envie parce que, si j’ai toujours voulu réaliser un tel disque, jusqu’à présent je n’en avais jamais eu le courage.”
Il y a dix ans, Malia s’apprêtait à sortir un premier album au titre déjà floral, Yellow Daffodils (“Les Jonquilles jaunes”), réalisé par André Manoukian, le producteur de Liane Foly et futur juré de l’émission Nouvelle Star. “A l’époque, je n’étais pas très sûre de moi. Je n’avais pas une idée précise de mon identité de chanteuse, je me laissais diriger…” Cette idée, Manoukian l’avait pour elle : faire de Malia une diva en fourrure réversible, une face vison, une autre acrylique. Un côté Lady Day (son Solitude en duo virtuel avec Billie Holiday), un autre Barbie pop.
Coincée entre les nouveaux lys de la scène jazz (Norah Jones, Lisa Ekdahl) et les belles plantes carnivores de la nu-soul (Jill Scott, Erykah Badu), Malia eut toutes les peines du monde à éclore. Après deux autres disques, elle préféra s’effacer pour se consacrer exclusivement à sa fille Luna, née en 2007.
Le paradoxe est qu’elle revienne cinq ans plus tard avec cette collection de reprises qui s’affirme comme son disque le plus personnel à ce jour, celui où sa voix miel et sable est la mieux mise en lumière. Accompagnée par un quartet que conduit le pianiste Alexandre Saada, elle ne se contente pas de traverser le répertoire de Nina Simone : elle l’habite.
“J’ai vécu toutes les situations mises en scène. J’ai été celle qui par amour était prête à une certaine forme d’humiliation, comme dans If You Go away, et celle prête à mordre de I Put a Spell on You, qui dit ‘tu vas rester parce que tu m’appartiens’. L’amour a toujours été un champ de bataille pour moi.”
La plus difficile à reprendre fut cependant Four Women, miroir fragmenté où la métisse Malia s’est reconnue. “Ce fut surtout difficile de ne pas pleurer en l’enregistrant. Toute ma vie j’ai lutté pour prouver aux autres que j’avais une certaine valeur. Les chansons de Nina Simone m’ont aidée dans cette affirmation de moi-même, elles m’ont poussée à dire non à ma mère quand celle-ci, après notre arrivée en Angleterre, s’effaçait pour laisser passer les Blancs qui faisaient comme elle la queue chez Marks & Spencer, parce que c’est comme ça qu’elle avait été conditionnée au Malawi. C’était très dur. On garde à vie des traces de ça.”
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