La Maison rouge à Paris présente une collection de 200 poupées Afro-Américaines réalisées artisanalement et 80 photographies d’époque. Une exposition originale et déconcertante qui s’attaque à l’histoire de la question raciale des États-Unis.
Une exposition de poupées. Quoi de plus naïf, voire effrayant pour un pédiophobe ou ex-spectateur des films d’horreur Chucky. Ami, esclave ou double de son propriétaire, la poupée est le réceptacle des peurs, mais aussi et surtout des désirs de la société. Intrinsèquement politique, elle régularise les comportements à travers les enfants, véhiculant des normes et des valeurs qui, en l’occurrence, ne sont pas exemptes de sexisme et de racisme. Ainsi, à l’instar du musée des Arts décoratifs et son exposition Barbie en 2016, la Maison rouge démontre une fois de plus que le jouet, loin d’être anodin, s’inscrit pleinement dans une histoire culturelle et sociale chahutée par des conflits et frustrations.
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Représenter le corps noir
C’est particulièrement le cas de la collection de Deborah Neff, 200 poupées noires anonymes, faites à la main et datant de 1840 à 1940, réunies par la commissaire de l’exposition Nora Philippe. A rebours des poupées « cheveux blonds, yeux bleus, peau rosée » vendues massivement dans le commerce, les poupées exposées à la Maison rouge témoignent d’une diversité inouïe de savoir-faire à même de représenter le corps avec une grande économie de moyens. Cuir teinté, broderies délicates, tissu rembourré…Conçues dans les foyers, elles comblent, avant 1920, l’absence de poupées noires dans les échoppes. Suprématie blanche oblige.
Tantôt terrifiantes, bienveillantes, bourgeoises, paysannes, maigres, fines, minimales ou sophistiquées, les poupées exposées sont autant de gestes de résistance, combattant les connotations péjoratives liées au corps non-blanc et le cliché raciste emprisonnant le noir dans une seule et unique représentation (black face). Dans cette histoire, qu’il s’agisse d’art ou non, peu importe. Un objet aussi vernaculaire et intime que la poupée noire démontre sa capacité à combattre l’intériorisation de schémas racistes solidement ancrés. Diffusé dans l’exposition, un documentaire vidéo réalisé par Nora Philippe est accablant. Consignant des extraits de reportages de la fin du XXe siècle, le film met par exemple en scène un journaliste qui demande à des enfants afro-américains laquelle de la poupée noire ou blanche est la plus « méchante » et la plus « moche » : tous désignent systématiquement la poupée noire…
Geste de résistance
La poupée est aussi un geste de résistance politique qui s’inscrit dans le quotidien des Afro-Américains et notamment des femmes, contraintes d’être les « nounous de l’Amérique », délaissant leurs propres enfants au profit de la prise en charge des enfants des familles blanches. Nora Philippe se demande ainsi si les poupées que ces femmes confectionnaient étaient une représentation d’elles-mêmes ou « un cheval de Troie dans le lit de l’enfant blanc », soit une petite révolte contre l’oppression menée depuis la sphère intime.
Les « topsy-curvy » exposées à la Maison rouge sont sans doute les plus fascinantes. Ce sont des poupées réversibles à deux têtes, une noire et une blanche, souvent une employée de maison et sa maîtresse. Incarnation des tensions culturelles dans une Amérique fondée sur la distinction binaire noir/blanc, elles sont un terrain de recherche encore en friche et il est aujourd’hui encore trop tôt pour saisir leur portée et leurs usages. L’écrivain Stephanie V. Siek y voit « un miroir de la vie de la femme afro-américaine. Elle prenait soin d’enfants blancs mais avait elle aussi des enfants, l’enfant blanc est présent quand l’enfant noir est caché, l’enfant noir est présent lorsque l’enfant blanc est invisible. » Ces poupées étaient-elles utilisées pour raconter des histoires aux enfants, leur transmettre l’idée d’une possible ou impossible réconciliation entre les hommes blancs et les autres ?
Black Dolls, La collection Deborah Neff, La maison rouge, exposition du 23 février au 20 mai 2018. Commissaires : Nora Philippe, Deborah Willis (Conseillère scientifique).
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