Dans Copacabana, Lolita Chammah joue une fille en quête de normalité et dont la mère est un fardeau. Mais que se passe-t-il dans la vraie vie lorsqu’on est la fille d’Isabelle Huppert ?
Il ne fait pas très bon être fils ou fille de star. Les artistes reconnus constituent aux yeux du grand public une classe sociale privilégiée, une nouvelle aristocratie à laquelle beaucoup de jeunes gens rêvent désormais d’appartenir. En période de crise, ce sont les premiers qu’on vise parce qu’on les suspecte d’abuser de leur position.
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Le père de Lolita Chammah, Ronald Chammah, est réalisateur (Milan noir en 1987), distributeur (films italiens ou raretés américaines indépendantes des années 50 à 70) et aujourd’hui commissaire d’expositions (Patti Smith à la Fondation Cartier). Sa mère est la comédienne Isabelle Huppert. On sent bien chez Lolita, en qui coule sûrement une conscience de gauche, qu’il n’est pas facile d’en parler : s’explique-t-on qu’on a aussitôt l’air de se justifier ou de se plaindre. Alors Lolita a recours à l’euphémisme, soit l’art de raconter sa vie en atténuant la gravité des événements, sans chercher à l’embellir ni à l’assombrir.
Lolita dit qu’elle a toujours su de qui elle était l’enfant. Que cela fausse dès la naissance le regard des autres, qu’on a vite intérêt à s’y habituer, à admettre que c’est votre petit handicap plutôt qu’à chercher à nier le problème (aveuglement) ou à l’exagérer (paranoïa). Il faut apprendre à la fois à garder ses distances et à accorder sa confiance.
Lolita est sensible, peut-être pas très sûre d’elle, mais elle a la tête sur les épaules, du franc-parler, sans doute aussi une bonne éducation. Elle n’aime pas les ambiguïtés : elle préfère vous faire répéter la question ou vous amener à la préciser plutôt que de se perdre dans un contresens. Elle s’en est tirée.
Enfant, elle est bonne élève. Sa mère l’emmène sur les tournages (on l’aperçoit dans Une affaire de femmes de Claude Chabrol en 1988 et dans Malina de Werner Schroeter en 1991). Lolita adore se déguiser. Elle commence à suivre des cours de théâtre au conservatoire du Xe arrondissement. Après le bac, elle fait hypokhâgne et khâgne (ces classes préparatoires au concours de Normale Sup que les littéraires indécis fréquentent pour repousser le moment de choisir leur vie), tout en fréquentant le conservatoire du Ve. Elle réussit le concours d’entrée à l’Ecole supérieure du Théâtre national de Strasbourg, qu’elle abandonne très vite car le métier la réclame déjà.
Ses parents semblent contents de son choix mais demeurent discrets. Dans la famille, “on ne donne pas de conseils, on n’en demande pas non plus”, plaisantait Isabelle Huppert dans une interview à Libération en mai dernier.
De tout temps, le truc de Lolita fut le théâtre. Elle a 16 ans quand elle tourne son premier film, La Vie moderne de Laurence Ferreira Barbosa, en 2000. Mais elle est trop jeune, raconte-t-elle, et en ressort meurtrie, avec l’impression qu’on lui a volé quelque chose. C’est au théâtre, en 2006, qu’elle trouve pleinement son bonheur en interprétant Agnès dans L’Ecole des femmes de Molière, montée par Coline Serreau au Théâtre de la Madeleine. La réalisatrice l’avait fait jouer quelques années plus tôt dans son film, 18 ans après, la suite de Trois hommes et un couffin.
Lolita a presque toujours travaillé, alternant longtemps des rôles de plus en plus importants au théâtre et plutôt petits ou courts au cinéma. Elle vient de jouer dans Les Corbeaux d’Henri Becque au Théâtre du Nord de Lille ; à la fin de l’année, à Paris, elle reprendra le rôle-titre de Salomé d’Oscar Wilde, qu’elle a joué à Genève en 2008 sous la direction d’Anne Bisang. Au cinéma, on la voit dans La Vie d’artiste (2007), le premier long de Marc Fitoussi, dans L’Intrus de Claire Denis (2005) en sauvageonne SDF, en jeune bénévole du Planning familial dans Les Bureaux de Dieu de Claire Simon (2008), et dans les films de ses amis, longs (comme La Vie privée de Zina Modiano en 2007), ou courts : Après mûre réflexion de Mia Hansen-Løve (dont la mère a été sa prof de philo), Le Feu, le Sang, les Etoiles de Caroline Deruas-Garrel (l’épouse de Philippe Garrel), Mes copains (2008) puis Petit tailleur (2010) de Louis Garrel, qu’elle connaît depuis l’adolescence.
On fait remarquer à Lolita qu’elle semble connaître tout le monde. Elle répond qu’effectivement, beaucoup de ses amis sont acteurs, et surtout réalisateurs. Elle ajoute même que c’est ce qui lui plaît dans ce métier : être en mesure de ne pas dissocier vie privée et vie professionnelle. Loin de fuir le monde qui est celui de ses parents, Lolita Chammah a préféré s’y couler.
2010 devrait marquer un tournant dans sa carrière au cinéma. D’abord avec le beau Copacabana de Marc Fitoussi, qui sort aujourd’hui. Elle joue au côté de sa vraie mère la fille bien sage d’une femme un peu trop extravagante : un second rôle plus important que d’habitude dans un film qui a fait la clôture de la Semaine de la critique à Cannes.
Dans quelques semaines, elle débutera le tournage du premier film réalisé par Marie-Castille Mention-Schaar, la productrice de La Première Etoile. Ensuite suivra la sortie de Memory Lane, le nouveau film de Mikhaël Hers (avec qui elle avait déjà travaillé sur Montparnasse en 2009), où elle tient un premier rôle. Elle en est très fière :
“Pas seulement parce que je me trouve bien dedans mais parce que le tournage a été un moment de grâce, parce que je trouve que tout est réussi et que je me sens en accord avec l’univers qu’il décrit.”
A bientôt 27 ans, la carrière de Lolita Chammah ne fait que commencer.
Copacabana de Marc Fitoussi
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