De « Gremlins » aux « Goonies » en passant par « Ghostbusters » et « Retour vers le futur », le jeu du studio espagnol Fourattic regorge de références aux films d’une décennie dont il pastiche aussi plusieurs jeux fameux. Se déroulant en 1986, « Crossing Souls » est une aventure inventive dans laquelle un groupe d’adolescents côtoie des fantômes. Sous l’exercice de style entraînant, c’est aussi un jeu plus profond qu’il n’y paraît.
Ça doit être quelque chose dans l’air. Quelque chose comme une envie d’avant, de retour vers un passé lui-même tourné vers le futur, une nostalgie pop qui, par procuration, contaminerait bizarrement jusqu’à ceux qui n’ont pas vécu l’époque concernée. La série phénomène Stranger Things débutait en 1983. Le jeu Crossing Souls, lui, se déroule en 1986, mais le principe est globalement le même : une aventure juvénile basculant franchement dans le fantastique et bourrée de références aux années 1980 et notamment à son cinéma, à commencer par les fictions teen d’Amblin Entertainment.
Dès les toutes premières heures de jeu, on aura l’occasion de récupérer une VHS de Ghostbusters et de visiter la pittoresque boutique du vieux Chinois – les stéréotypes sont aussi d’époque – vendeur de mogwais (mais qui n’en recevra que la semaine prochaine) de Gremlins. On affrontera aussi un chef de bande princier tout de pourpre vêtu sur fond de musique synthétique en guettant les clins-d’œil à Retour vers le futur, à E.T. ou aux Goonies – qui, pas d’inquiétude, sont suffisamment mis en avant pour qu’il n’y ait pas besoin de chercher bien longtemps.
80’s et Combat de rue à défilement horizontal
L’une des particularités de Crossing Souls – œuvre du petit studio espagnol Fourattic financée grâce à un passage réussi sur Kickstarter en 2014 et au soutien du très actif éditeur américain Devolver Digital (dont les récents The Red Strings Club et Genital Jousting méritent aussi le déplacement) – est que ces références ne sont pas des détails en arrière-plan, pas un papier peint coloré au fond de l’image que l’on pourrait éventuellement choisir d’ignorer, mais la matière même de l’œuvre. D’autant que le jeu vidéo des années 1980 (et un peu du début des années 1990) est aussi convoqué pour nous offrir par exemple du combat de rue à défilement horizontal reprenant joyeusement les codes de ces bons vieux Double Dragon (1987) et Final Fight (1989) ou un parcours acrobatique de VTT, lui aussi en vue latérale, aux faux airs d’Excitebike (1984, sauf que dans Excitebike, c’était une moto, mais l’idée est là), sans parler des combats de boss, eux aussi très rétro dans l’esprit. C’est là que les choses se compliquent et, en même temps, deviennent intéressantes.
Crossing Souls n’est pas un voyage superficiel dans les années 1980, mais une tentative un peu folle (ou naïve) de les réactiver – de les faire revenir, histoire de voir si elles tiennent encore debout. Les revenants sont d’ailleurs au cœur du récit (où les militaires sont naturellement menaçants et les parents, assez absents) comme de l’expérience de jeu elle-même, car nos personnages légèrement stéréotypés (un minet sportif, un geek, un Noir enrobé mais costaud, une fille), pourvus de capacités et d’accessoires (une batte de base-ball, une corde à sauter…) variés entre lesquels on zappe à volonté se retrouvent en mesure de communiquer avec l’au-delà.
Un monde morbide parallèle
Et notamment avec le petit frère du héros qui meurt dès le début du jeu – ce qui, déjà, est plutôt audacieux. Le monde des morts se révèle ainsi parallèle au nôtre : c’est comme une deuxième couche habitée sous la réalité, qui apparaît en surimpression quand on presse une touche de la manette. On découvre alors que les disparus hantent toujours les lieux qui furent les leurs, à commencer par le lycée (dans lequel c’est, par ailleurs, une joie de se glisser en douce un beau jour d’été).
La grande idée de Crossing Souls est là : ce qui a été (nos vies, nos désirs, nos passions passées) n’est pas perdu loin derrière nous mais toujours là, en sommeil, sous la surface, et ne demande qu’à être révélé (ou réveillé). Cette utopie rejoint celle qui fonde secrètement le jeu vidéo en tant que loisir et pratique artistique : c’est le rêve d’avoir plusieurs vies, d’être plusieurs personnes à la fois, d’exister à plusieurs époques en même temps. Rien d’étonnant, alors, à ce qu’il se donne pour mission de faire resurgir une époque supposée révolue. Il est cependant essentiel, dans le contexte, que les niveaux d’action qui rythment Crossing Souls soient des nouveaux jeux, même s’ils relèvent largement du pastiche : ressortir ses vieux jeux (ou disques, ou films, ou pulls…) serait une affaire bien différente. Ici, le passé se remet en mouvement, repart de l’avant.
Et ça marche comment ? De manière inégale, en fait, car Crossing Souls n’a pas toujours la précision ludique que l’on pourrait espérer et possède un côté fan-game (comme on parle de fan-fiction) qui fait à la fois son charme et sa limite. Disons que, sur certaines phases de plateforme ou de combat et plus généralement sur le plan de l’interface et des contrôles, ça accroche, ça résiste un peu, et on se retrouve à pester qu’une fois de plus, il va nous falloir recommencer ce passage (sans pouvoir passer la séquence dialoguée qui le précède) et qu’à nouveau, dans le feu de l’action, on n’a pas sélectionné celui de nos personnage qu’on voulait. Certains diront que ces petites lourdeurs et ces quelques flottements viennent en droite ligne des jeux des années 1980 qui n’en manquaient pas et que, donc, ça se tient. Admettons.
Une chose est sûre : Crossing Souls n’est ni le premier jeu moderne à faire des années 1980 l’objet de toute son attention. Il y en eu d’autres avant (Retro City Rampage, Broforce, Trials of the Blood Dragon…) et il y en aura après – on attend personnellement beaucoup de Knights and Bikes. Une deuxième chose, aussi : la démarche n’est pas aussi anodine et sans conséquences qu’on pourrait le penser. On n’est qu’à moitié convaincu par l’expérience de jeu que propose Crossing Souls. Mais le romantisme secret de son projet mérite toute notre affection – et notre respect.
Crossing Souls (Fourattic / Devolver Digital), sur PS4, Mac et PC, environ 15€