Dans les bois profonds de la Meuse surgissent chaque été des œuvres monumentales créées par des artistes qui collaborent volontiers avec les artisans de la région. Tout le monde en redemande.
En bordure de la D101 qui serpente au coeur de la Lorraine, c’est chez Fernande Simon, bientôt 90 printemps, que se donnent rendez-vous les artistes débarqués chaque été par poignées le temps d’une résidence éclair en forêt de la Meuse. Dans cette institution sans comptoir, où s’alignent les trophées de chasse sur fond de palette pourpre – eu égard à la tapisserie d’inspiration forestière qui orne le mur –, les artistes ont leur ardoise. Avec cinq autres communes, le village de Lahaymeix prend part depuis le milieu des années 90 à un projet à ciel ouvert à l’intitulé poétique : Le Vent des forêts.
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Porté au départ par un “artiste-aventurier”, dixit l’actuel directeur, Pascal Yonet, qui a repris les rênes il y a quatre ans et fait sauter au passage “l’appel à projet et la thématique, ces béquilles superflues” qui régissaient le fonctionnement de l’association, Le Vent des forêts invite chaque année six à dix artistes à produire une œuvre dans les bois, le long d’un des six sentiers balisés qui quadrillent les milliers d’hectares alentours.
Courage et bonnes baskets
Cette année encore, il faudra s’armer de courage et de bonnes baskets pour atteindre les pièces – souvent monumentales – disséminées au milieu des chênes, acacias et autres noisetiers. Mais la quête ressemble parfois à celle du Saint Graal lorsque l’on tombe nez à nez avec un immense sphinx de bois aux yeux transpercés par les rayons du soleil.
Esotérique et psychédélique à la fois, cette sculpture grandeur nature est signée Théodore Fivel, artiste inclassable, récemment vu au palais de Tokyo et connu dans d’autres cercles sous le pseudo du Grand Bizarre. Ça ne se voit pas tout de suite, mais l’animal a ingéré un four à pain qui permettra le jour du vernissage d’organiser un banquet boulanger ou la production “moins risquée” de pâte à sel, s’amuse l’artiste venu avec une horde d’assistants.
Un peu plus loin, c’est un vaisseau en forme de kaléidoscope qu’a précipité l’Italien Ernesto Sartori. Dans la mythologie mise au point par ce jeune artiste en pointe, la pièce serait en fait “téléguidée” par un duo d’artistes imaginaires baptisés Gary et Duane. Ces deux-là, qui hantent l’artiste comme les peintures qu’il réalise en marge de ses sculptures, vivent dans une réalité parallèle fonctionnant selon les abscisses et coordonnées d’une géométrie de guingois. “Le principe de Vent des forêts est aussi de travailler avec des entreprises locales”, croit comprendre Sartori, que l’on retrouve du coup dans un vaste hangar où s’entassent des pneus déchiquetés qu’il devrait utiliser pour recouvrir sa sculpture.
“Nous faisons surgir du racinaire »
Dans un village avoisinant, c’est dans un atelier de menuisier que Jennifer Caubet travaille à l’élaboration fastidieuse d’une gigantesque pyramide tronquée qui sera posée en équilibre à flanc de colline. “J’ai l’habitude de travailler des volumes importants mais c’est la première fois que je me consacre à un paysage”, raconte cette habituée des résidences qui, après Bâle et Anvers, se réjouit de la collaboration qu’elle a mise en place ici avec cet ébéniste très investi auprès des artistes de passage. Même son de cloche, si l’on peut dire, du côté du chaudronnier voisin qui met, une nouvelle fois, la main à la pâte en réalisant soudures et cône de métal pour deux des artistes de cette édition 2012.
Échanges et collaborations sont les maîtres mots ici, rappelle Pascal Yonet, défendant mordicus cette drôle de formule qui pousse les artistes non seulement à travailler avec les artisans du coin, mais aussi à habiter chez eux. “Nous faisons surgir du ‘racinaire’, s’amuse encore le directeur. C’est un mot que j’ai trouvé pour qualifier ce que nous faisons ici.”
Car la particularité de ces résidences d’artistes non balisées tient en effet pour partie à la façon qu’elles ont de sans cesse renommer et requalifier ce qu’elles jouent. Reste que certains semblent y avoir pris goût, comme Vincent Lamouroux, déjà venu en 2010, qui est de retour cette année avec un projet fou : le dessin en trois dimensions et dans les airs d’une architecture éphémère, qu’il réalisera à bord d’un petit avion le soir du vernissage.
Claire Moulène
Journée d’ouverture le 14 juillet, www.leventdesforets.com
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