Dans ce troisième volet de Jonas Fink, Prague tente de se libérer du joug soviétique…
Publiés en 1994 et 1997, les deux premiers tomes de Jonas Fink de Vittorio Giardino viennent d’être réédités en un seul volume et complétés par Le Libraire de Prague qui clôt la série. Dans les premiers tomes, on découvrait Jonas Fink, jeune garçon juif habitant Prague au début des années 1950, dont le père est arrêté sous prétexte d’activités contre-révolutionnaires. Interdit d’aller au lycée en raison de ses origines, il devient commis dans une librairie. Sa passion pour les livres l’amène à fréquenter un groupe de jeunes gens qui se réunit pour lire des œuvres interdites.
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L’action du Libraire de Prague se déroule en 1968, deux semaines avant l’invasion de la Tchécoslovaquie par les troupes soviétiques. Les anciens amis de Jonas font maintenant partie d’une intelligentsia un peu bohême, ils sont devenus metteurs en scène, libraires, journalistes, médecins… Tous profitent de l’embellie du Printemps de Prague, tous y croient – jusqu’au coup de massue de la nuit du 20 août quand les chars soviétiques entrent dans la ville.
Dans les deux premiers récits, Vittorio Giardino retranscrivait avec une grande justesse non seulement l’ambiance sombre du Prague d’après-guerre et l’état d’esprit de ses habitants, entre résignation et crainte, mais également les émois de l’adolescence et la farouche volonté de liberté de ces adolescents muselés.
Un mélange claire de réalité et de fiction
Dans cette suite, il confirme ce que l’on soupçonnait déjà : le vrai héros de cette saga, ce n’est pas Jonas, personnage parfois un peu agaçant (soupe au lait, dur avec sa mère, lâche envers les femmes) mais cette jeunesse pragoise avide de liberté et de modernité.
De sa ligne claire efficace, Vittorio Giardino dépeint dans les détails cette ville qui tente de résister. Très documenté, grâce notamment aux voyages de l’auteur dans les pays de l’Est dans les années 1970, Jonas Fink est d’une précision historique solide.
Giardino mêle avec aisance et clarté la réalité et la fiction. Les éléments politiques (le joug communiste des années 1950, le Printemps de Prague, l’arrivée des chars…) comme le contexte culturel (les disques des Beatles arrivés sous le manteau, un metteur en scène ébloui par le Living Theatre vu à Avignon…) renforcent la vraisemblance de l’histoire.
Giardino souligne bien le rôle immense de la culture, et notamment de la littérature qui imprègne tout le récit. Il cite de nombreux écrivains (réels et inventés), montre la diffusion clandestine d’œuvres interdites et l’importance de la librairie en tant que passeur.
C’est grâce à ces livres permettant évasion et échange d’idées, que cette jeunesse n’a jamais complètement perdu espoir. Une fresque passionnante, dont la conclusion désenchantée, en 1990, est à l’image du regard que porte alors Jonas Fink sur son pays et sa jeunesse. Anne-Claire Norot
Jonas Fink – Ennemi du peuple ; Jonas Fink – Le libraire de Prague (Casterman), traduit de l’italien par Donatella Saulnier, 156 et 173 p., 22 € chaque volume
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