Échappée de Cat’s Eyes, la chanteuse Rachel Zeffira prolonge sa renaissance pop sur un premier album solo majestueux.
Que font les jeunes femmes de 30 ans qui résident à Londres quand leur salaire arrive sur le compte en banque ? Rachel Zeffira, elle, fonce aux studios Abbey Road. Canadienne exilée dans la capitale anglaise, elle a ainsi dépensé tout son argent de poche dans la location des mythiques studios. C’est là qu’elle a enregistré la dizaine de chansons qui composent The Deserters, un premier album solo de toute beauté. “À l’heure actuelle, je pourrais probablement être l’heureuse propriétaire d’une belle voiture ou d’une petite maison”, sourit-elle.
Longtemps, Rachel a été chanteuse d’opéra, se produisant dans les cathédrales et même au Vatican pour le pape. Quand elle se souvient de ces années-là, la jeune femme évoque les corollaires indissociables de la pratique : rigueur et discipline. “Je devais protéger ma voix. Parfois je ne pouvais communiquer que par écrit. Si j’allais dîner chez des amis, je leur demandais de mettre davantage le chauffage. J’évitais l’air conditionné. C’était un mode de vie très contraignant et au final très égoïste.”
Du reste, il aura suffi d’une seule critique négative pour que la chanteuse décide de mettre un terme à cette carrière. “Un jour un journaliste a écrit que je ne savais pas chanter. C’était terrible. Je me suis dit que s’il l’avait écrit, cela signifiait qu’il avait raison. J’ai gardé l’article dans mon salon, je ne pouvais même plus toucher le magazine. J’ai essayé de remonter sur scène, mais j’étais persuadée que le journaliste était dans la salle. J’ai commencé à annuler mes performances. Puis j’ai décidé de tout arrêter.”
L’histoire aurait pu s’achever là. C’était compter sans la rencontre, en 2008, avec Faris Badwan, tête pensante de la formation indie-shoegazing-rock The Horrors. Convaincu du talent de la demoiselle, et soutenu dans ses convictions par Bobby Gillespie de Primal Scream, il encourage Rachel à reprendre le chant en toute liberté, sans les contraintes du chant classique. Hier chanteuse d’opéra, Rachel Zeffira devient alors chanteuse de pop, et trouve dans Cat’s Eyes, le duo qu’elle forme bientôt avec le jeune Anglais, la plus belle façon de renaître.
Alors que la paire enregistre son premier album – un resplendissant disque de pop spectorienne qui finira haut placé dans les palmarès de 2011 –, le garçon défie la jeune femme de revisiter un titre de My Bloody Valentine. Elle choisit To Here Knows When, qu’elle plonge dans un déluge de chœurs vaporeux. “J’ai repris peu à peu confiance. Bientôt j’ai commencé à écrire des chansons. Et j’ai fini par en avoir assez pour faire un disque.”
Celui-ci se nomme The Deserters et déroule une dizaine de torch-songs majestueuses, qu’agrémentent des orchestrations cinématographiques. Portée par des harpes, des cordes, des pianos et des orgues en rafales, Rachel Zeffira s’inscrit dans la lignée des plus grandes poétesses pop méconnues de l’histoire : on croit parfois déceler en elle une descendante de Margo Guryan (Here on in), une copine de Claudine Longet (Front Door).
La force de The Deserters, par ailleurs, réside dans la façon dont le disque évite l’écueil de la nostalgie en nichant l’écriture classique de la musicienne dans un flacon plus moderne. The Deserters croise ainsi l’écriture savante des sixties avec le spleen vaporeux de My Bloody Valentine ou des Cocteau Twins (Break the Spell, Silver City Days). Après Cat’s Eyes, le Cat power.