C.Sen sort fin janvier un disque dur et élégant qui traque la poésie jusque dans notre médiocrité quotidienne. Il ne devrait plus rester longtemps le secret le mieux gardé de l’underground français : rencontre et vidéo exclusive.
C.Sen est un personnage tour à tour dur et cynique, mais aussi déconneur, affable et dragueur, suivant l’heure du jour – ou de la nuit – à laquelle on le croise dans les ruelles de son XVIIIe arrondissement parisien. Depuis ses premières apparitions sur les mixtapes de son crew 75018 BeatStreet ou les sirops noircis du frère Aucune Chance, il n’a jamais raconté autre chose, n’a jamais donné dans l’ego-trip, trop occupé à regarder la vie en face : “Je ne veux pas être pris en défaut, je ne suis pas là pour raconter des salades. La vie est telle qu’elle est, et je ne veux ni l’embellir, ni la noircir. Elle est plus intéressante comme ça.”
Une hauteur de vue, une honnêteté brutale que l’on retrouve sur Questions réponses, où le rappeur interroge entre autres une carrière qui peine à décoller, tout ce rap jeté dans le vide et le succès qui reste en suspens : “Est-ce que j’ai raison de continuer ? C’est un bonheur que je m’offre, mais à mon âge, c’est irresponsable. Insister à ce point sans avoir du succès, c’est très dur. Quand tu es un artiste qui ne passe pas à la radio ou à la télé, tu es de la merde. Tout le monde te le dit, la vie te le dit, la société te le dit. Il faut que je me dépêche…”
http://www.youtube.com/watch?v=sg4GA9fU6Ew
Mais il y a plus : si ce texte interroge les dissensions internes du rappeur, il révèle aussi les nôtres, ces tensions intimes que l’on vit tous sans rien en dire autour de nous, ces reproches qu’on se fait à soi-même lorsque la lumière s’éteint, ces bleus au coeur qu’on garde pour soi. C’est ici que se niche la poésie : “Il y a cette sincérité de dire ce que je suis, mais il y a aussi une volonté de voir un peu de beauté dans la médiocrité de nos vies. Personne n’a de la superbe tous les jours. Tout le monde va aux chiottes, tout le monde se fait plaquer, tout le monde a mal à en crever. J’essaie de rendre ces choses communes un peu plus intéressantes. Ça parle de nous, on est des hommes.”
Une poétique de l’erreur qui saisit la lumière là où on la croyait éteinte ; un supplément d’âme qui fait de l’auteur un des personnages les plus intéressants du rap actuel, opposant réalisme et humilité à la bonne conscience frelatée des vantards simplets. Un pied dans l’underground rap des années 90, l’autre dans le modernisme électroïde des années 2010, la production du Tunnel, dévolue au triumvirat Walter Wallace, Olivier Dax (Dax Riders) et Toxic Avenger, amplifie ces textualités modernes en glissant sous les strophes du rappeur un futurisme décharné qui prolonge à merveille ses émotions rugueuses.
Une ouverture musicale qui fait du Tunnel un tout de son et de sens qui ne se dompte qu’au fil des écoutes, un bloc de verbe dur mais élégant, grandiose et dégueulasse, une poésie fugace qui scintille au creux des rues électriques. La lumière au bout du tunnel.
Thomas Blondeau